Le chapelet de Ben Laden

Publié le 17 juillet 2005 Lecture : 4 minutes.

Donc ce sont des kamikazes, qui plus est des kamikazes britanniques. Au lendemain des attentats du 7 juillet à Londres, on cherchait du côté des islamistes, notamment maghrébins, connus, fichés, contrôlés, à l’occasion protégés et manipulés. Et ce sont, pour trois d’entre eux, des Britanniques d’origine pakistanaise, intégrés, parfaitement insoupçonnables. L’un (18 ans) est un éducateur pour enfants handicapés ; le deuxième (22 ans), étudiant en sciences et passionné de cricket ; le plus âgé (30 ans) est père d’une petite fille de 8 mois… L’opération est signée : al-Qaïda.
Deux vérités d’évidence s’imposent : la première est que l’internationale djihadiste créée par Oussama Ben Laden peut encore frapper au coeur de l’Occident. La répression systématique menée à l’échelle planétaire depuis quatre ans (six mille arrestations au bas mot) se révèle d’une efficacité limitée. Il semble bien qu’une nouvelle génération a pris la relève. On découvrira peut-être comment ces recrues new-look sont reliées à al-Qaïda, laquelle est devenue plus une matrice qu’une organisation classique, et surtout une marque avec des réseaux délocalisés et des franchises. Son mode opératoire s’est, Entre-temps, sensiblement perfectionné avec l’utilisation des kamikazes maison au point de devenir pratiquement imparable. Le terroriste ne vient plus de loin, c’est monsieur Tout-le-Monde, le voisin de palier, celui qui monte dans le métro avec vous.
Les conditions sont réunies – et c’est la seconde évidence – pour que ça recommence. Ici ou ailleurs. À tout moment. New York, Djerba, Karachi, Bali, Mombasa, Riyad, Casablanca, Madrid, Londres… On n’a pas fini, hélas ! d’égrener le chapelet de l’horreur.
Que faire ? Pour commencer, éviter les idées simplistes qui sont désormais aussi suspectes, comme l’écrit The Independent, que les colis abandonnés dans le métro. Le 7 juillet est le 11 septembre de la Grande-Bretagne, mais rien n’oblige Tony Blair, cette fois, à réagir comme George W. Bush. Et puis c’est déjà fait avec des résultats peu probants. La guerre contre le terrorisme engagée en Afghanistan avec quelque justification et poursuivie en Irak sans aucune raison, et qui se voulait une démonstration de puissance, tourne chaque jour davantage à l’aveu de faiblesse. S’agissant du terrorisme, l’aventure irakienne s’est révélée contre-productive. Le pays de Saddam est devenu La Mecque du djihad (ou du terrorisme, comme on voudra), les candidats au martyre y accourent de tous les pays musulmans et pas uniquement. Autant, sinon plus que les « Afghans » d’hier, les futurs « Irakiens » seront redoutables.
Plus préoccupant, al-Qaïda en Irak se trouve du « bon côté ». Abou Moussab al-Zarqaoui revendique tous les jours des opérations-suicides extrêmement meurtrières contre les forces d’occupation qui sont américaines mais aussi britanniques. Y a-t-il quelque relation entre les kamikazes de Bagdad et ceux de Londres ? Ben Laden, pour sa part, avait annoncé la couleur : « Vous bombardez nos villes, nous bombarderons les vôtres. » Pendant les cérémonies d’hommage aux victimes organisées le 14 juillet dans toute l’Europe, on pouvait lire sur une pancarte « Fallouja », rappelant les massacres de la coalition américano-britannique…
Mais qu’en est-il des motivations des kamikazes de Londres eux-mêmes ? À première vue, l’Irak est loin de la banlieue de Leeds, où vivaient les trois Pakistanais. Ce n’est pas ce qu’on ressent sur place : la colère monte parmi les musulmans de Grande-Bretagne contre la guerre d’Irak. Voici le témoignage publié dans le Guardian de Salim Lone, ancien porte-parole de la mission des Nations unies à Bagdad : « Oui, les terroristes sont barbares. Mais il ne faudrait pas oublier les crimes contre l’humanité récemment commis à Fallouja, Nadjaf, Qaïm, Jénine et dans les villages et les montagnes d’Afghanistan. Qui est le plus barbare ? » Un sondage publié à la fin de 2004 est encore plus éclairant sur l’état d’esprit des musulmans dans le Royaume-Uni (1,6 million, dont 45 % de Pakistanais). À la question : « Êtes-vous d’accord avec Bush et Blair lorsqu’ils affirment que la guerre contre le terrorisme n’est pas dirigée contre les musulmans ? » 80 % répondent non. Ils sont encore plus nombreux (86 %) à désapprouver l’utilisation de la violence pour atteindre des objectifs politiques. Mais, lorsqu’on leur demande si les musulmans devraient informer les autorités sur ceux qui sont impliqués dans des activités terroristes, 25 % n’ont pas l’intention de le faire. Un quart des musulmans britanniques, et si l’on compte ceux qui n’ont pas d’opinion (6 %), 3 sur 10. C’est beaucoup, énorme quand on sait que la réputation d’efficacité de Scotland Yard repose à la fois sur son savoir-faire et sur le concours spontané de la population.
La guerre d’Irak a assurément radicalisé les musulmans de Grande-Bretagne. Combien parmi eux vont jusqu’à soutenir al-Qaïda ? 10 000 à 15 000 estime sir John Stevens, ancien chef de la police. Ils ne sont pas tous des terroristes en puissance, mais ils constituent le terreau où les terroristes peuvent agir. Ce n’est pas tout. Selon le Financial Times, le MI6, le contre-espionnage, avait dénombré la veille des attentats que 300 citoyens britanniques environ étaient passés par les camps d’al-Qaïda. La plupart étaient fichés et surveillés. Mais les autorités étaient néanmoins très inquiètes, car une trentaine n’étaient nullement identifiés et n’avaient laissé aucune trace. Apparemment, on en connaît quelques-uns depuis le 7 juillet.

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