Excès de prudence ?

La crise de 2002 appartient désormais au passé. Toutefois, les opérateurs économiques affichent encore une certaine réticence.

Publié le 17 juillet 2005 Lecture : 4 minutes.

« Trop d’interventions et trop d’emmerdements. » Ce sont ces termes qu’a choisis James Bond, le représentant de la Banque mondiale à Madagascar, pour dénoncer les freins que l’administration oppose encore à l’investissement privé. Des propos prononcés lors d’une cérémonie officielle réunissant tout le gratin politique malgache et qui ne sont pas passés inaperçus.
En 2004, les fameux IDE – investissements directs étrangers – n’ont atteint que 45 millions de dollars, soit même pas la moitié de l’objectif que s’étaient fixé les autorités. Or, depuis la prise de pouvoir du très libéral Marc Ravalomanana, au premier semestre 2002, ces investisseurs venus d’ailleurs sont attendus comme le messie, garantie d’une croissance qui réduirait enfin la pauvreté. La performance de 2004 est toutefois meilleure que celle de l’année précédente (13 millions de dollars), mais elle demeure très insuffisante.
Pour le représentant de la Banque mondiale, ce sont le manque de sécurité foncière et la lourdeur des procédures douanières qui suscitent la méfiance des opérateurs étrangers. James Bond regrette également la multiplication des interventions des pouvoirs publics, tant pour l’octroi des permis d’exploitation minière que pour la délivrance d’autorisations d’exportation et la création de nouvelles activités. Un sentiment que semble partager le représentant du FMI à Madagascar, Samir Jahjah, qui réclame la « réduction des interventions discrétionnaires et trop nombreuses de l’administration ». La situation n’est pas nouvelle. Mais qu’a fait le nouveau régime pour tenter de rendre la Grande Île plus attractive ?
La plupart des investisseurs saluent l’initiative de la création du Guide (Guichet unique des investissements et de développement des entreprises), un service interministériel qui facilite les démarches d’implantation des entreprises malgaches ou étrangères. Autre initiative : grâce à une loi adoptée en juillet 2003, les opérateurs étrangers ont pu devenir propriétaires de leur terrain à condition que celui-ci soit inférieur à 3 hectares et que le montant de leur projet d’investissement dépasse les 500 000 dollars. Pour beaucoup d’analystes, l’interdiction d’accès au foncier était un des freins majeurs aux investissements.
Autre signal pour les investisseurs, les accords de protection des investissements (API). Cet instrument juridique permet de sécuriser les opérateurs étrangers, notamment en cas de conflit. Un premier accord a été signé avec la France. Un deuxième est en cours de conclusion avec Maurice, et d’autres devraient suivre. Malgré tout, ces mesures n’ont pas suscité l’engouement attendu.
Alors, sont les véritables freins ? Pour le savoir, il suffit de tendre l’oreille du côté des investisseurs potentiels. Parmi les petits opérateurs (75 000 euros en moyenne), les histoires de vazahas (« étrangers ») dépouillés par des associés malgaches malhonnêtes courent les bars de la capitale. Pour les 500 entreprises françaises installées sur la Grande Île, il a fallu s’adapter. S’adapter aux tracasseries administratives, à la « corruption endémique », aux employés indélicats ou encore au manque d’adhésion du personnel aux concepts occidentaux de « culture d’entreprise », de « compétitivité » ou de « productivité ». Si l’investisseur potentiel ne sait pas s’accommoder de ces préalables, il risque fort d’échouer. D’ailleurs, les premiers à conseiller de ne pas s’implanter à Madagascar sont les entreprises étrangères déjà présentes sur place. Un bon moyen aussi de tenir à distance une éventuelle concurrence…
Autre frein souvent cité, les « affaires ». La dernière en date concerne Galana, un groupe pétrolier international basé à Dubaï. Ce groupe a repris en 1998 la raffinerie de pétrole de Toamasina. Mais il a été condamné en décembre 2004 à une amende de 220 milliards d’ariary (soit 88 millions d’euros !). Son directeur, Ould Ali Brahima, a écopé de sept mois de prison ferme pour infraction à la réglementation douanière. Depuis, la raffinerie est fermée, et Madagascar importe du carburant raffiné. Cette affaire a fait frémir au-delà de la Grande Île. Les arrestations d’opérateurs étrangers et le non-renouvellement de leur permis de travail font mauvais effet. De plus, l’instabilité monétaire observée au cours de l’année 2004 n’a pas non plus rassuré les investisseurs : la monnaie s’est dépréciée de plus de 100 %, et l’inflation – d’environ 15 % – a largement contrarié les prévisions de croissance.
Reste que Madagascar dispose d’atouts indéniables, qui paieront tôt ou tard. Le pays a la chance de posséder des ressources minières, qui ont attiré deux sociétés d’envergure internationale. Rio Tinto, le géant mondial de l’acier, doit confirmer incessamment la mise en oeuvre de son projet d’extraction d’ilménite (dont on tire le titane) à Fort-Dauphin, au sud de Madagascar : 350 millions de dollars d’investissement sont en jeu dans ce projet mené par sa filiale malgache Qit Madagascar Minerals (QMM). L’exploitation, qui devrait commencer en 2009, atteindrait 750 000 tonnes d’ilménite par an, soit 8 % de la production mondiale.
Encore plus important sera le projet d’extraction de nickel à Moramanga. Le groupe canadien Dynatech et le sud-africain Implats sont sur le point de concrétiser un investissement de plus de 2 milliards de dollars. Le lancement de l’exploitation est prévu pour 2008, avec une production annuelle potentielle de 60 000 tonnes de nickel et de 5 600 tonnes de cobalt. Quant à la recherche pétrolière, elle bénéficie de la flambée du prix du baril. De grosses compagnies, l’américaine ExxonMobil, les norvégiennes Norsk Hydro et Statoil, la britannique Sterling Energy et la mauricienne Vuna Energy Ltd. sont en phase d’exploration.
Côté tourisme, le numéro un mondial, le français Accor, devrait s’implanter cette année, tandis que plusieurs projets menés en partenariat avec des groupes hôteliers mauriciens et sud-africains sont annoncés. L’agroalimentaire dispose également d’atouts sérieux. Mais pour l’instant, hormis le groupe Tiko, les opérateurs restent discrets.
Pour leur part, les autorités se veulent rassurantes : « Nous garantissons le tapis rouge à tous les nouveaux investisseurs », conclut Henri Rakotoarisoa, directeur du développement du secteur privé au ministère de l’Industrie. En espérant que les nouveaux venus ne se prennent pas les pieds dans le tapis.

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