Une éducation « beldia »

Publié le 17 juin 2007 Lecture : 2 minutes.

Nadia M. est issue d’une très grande famille bourgeoise tunisoise d’ascendance « gréco-turque ». Directrice d’une école d’enseignement privé, cette sexagénaire s’est mariée – « sur un coup de foudre », dit-elle – avec un homme issu d’un milieu moins privilégié. Voici son témoignage.

« La bourgeoisie tunisoise formait un petit cercle très fermé. Le nom et l’ascendance importaient beaucoup plus que la fortune. D’ailleurs, l’argent n’a jamais été la chose la mieux distribuée, même dans les grandes familles. On ne se mélangeait pas. On fréquentait l’école Notre-Dame-de-Sion, rue Hollande, tenue par les Pères Blancs. L’éducation y était stricte, à la française, et l’on nous apprenait aussi le maintien et les bonnes manières. On venait nous chercher en voiture : il était impensable de rentrer à pied.
L’endogamie sociale était la règle chez les beldis. Les parents refusaient de confier leurs filles à des inconnus. Une tradition tombée en désuétude après l’indépendance et l’adoption du code du statut personnel* voulait que ce soit le père de la mariée qui meuble la chambre nuptiale. Le mobilier, les tapis, les rideaux et, bien sûr, le lit conjugal devaient appartenir à l’épouse. Symboliquement, c’était une façon de la protéger, de transformer sa chambre en sanctuaire, en refuge, et de la soustraire à l’empire absolu de son époux. Il faut se souvenir qu’à l’époque une femme n’avait aucun droit et pouvait être chassée de chez elle et même répudiée sans que l’homme ait à se justifier. Chez nous, les hommes ont toujours témoigné de la considération aux femmes. Il était inconcevable qu’un fils élève la voix en public devant sa mère, alors que, dans d’autres milieux, cela ne choquait personne. »
« Aujourd’hui, les mentalités ont évolué. Le lignage compte beaucoup moins, les études priment sur le reste. Venir d’une grande famille est un plus, mais cela n’est plus le seul critère. Et puis, il y a l’argent La société est devenue matérialiste. Il y a une course à l’ostentation, les gens dépensent des millions pour leur mariage. Ce mouvement remonte aux premières années de l’indépendance, avec le brassage des différentes catégories sociales et l’arrivée en force des nouzouh [campagnards], et s’est considérablement amplifié depuis.
Financièrement, face aux nouveaux riches, les vieilles familles beldies ne peuvent plus suivre. On observe un autre phénomène, une forme détestable de revanche sociale : la perte du respect. Quand je vais dans une administration, les fonctionnaires plantés derrière leur guichet me toisent souvent de la tête aux pieds et font tout pour me mettre des bâtons dans les roues. Ils continuent à m’appeler Lalla [princesse], mais c’est ironique, c’est pour mieux m’opposer un refus pseudo-désolé et arbitraire. Je crois que ces gens sont frustrés, jaloux, et qu’en réalité, ils me disent : Maintenant, chère Madame, les choses ont changé. L’administration n’est plus à votre service, vos privilèges ont été abolis. Le pouvoir est passé entre nos mains, le temps où nous devions vous témoigner du respect en raison de votre naissance est révolu. »

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* Voulu par Bourguiba, et promulgué en août 1956, le CSP a aboli la polygamie, remplacé la répudiation par le divorce civil et aligné les droits des femmes sur ceux des hommes (sauf en matière d’héritage).

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