L’Égypte proclame la République
Dans l’histoire de l’Égypte, c’est un événement de première grandeur. Ce 18 juin 1953, après quelque mille ans d’existence, la monarchie est renversée et remplacée par une république. Les fidèles du roi, dernier représentant d’une dynastie d’origine albanaise vieille d’un siècle et demi, sont atterrés. Le petit peuple, lui, est aux anges. Depuis qu’un an auparavant, le 23 juillet 1952, les « Officiers libres » se sont emparés du pouvoir, le dénouement paraît inéluctable. Conduits par un lieutenant-colonel de 34 ans, Gamal Abdel Nasser, héros de la guerre de 1948 contre Israël, ces derniers vouent au trône une haine inexpiable. À l’instar d’autres groupes révolutionnaires – communistes ou Frères musulmans -, ils se sont révoltés contre le despotisme du roi Farouk, mais aussi sa totale soumission aux Britanniques – lesquels maintiennent des troupes dans la région du canal de Suez.
Trois jours après leur victoire, Nasser et ses frères d’armes contraignent le souverain à abdiquer en faveur de son fils – qui prend le nom de Fouad II – et à s’exiler. Dans un premier temps, ils épargnent tactiquement l’institution monarchique elle-même, qu’ils réduisent cependant à un rôle de figuration. Le 9 septembre, le général Mohamed Néguib est porté par le Conseil du commandement de la révolution à la tête du gouvernement. Une très populaire réforme agraire est annoncée. Les formations politiques qui existaient avant la révolution cèdent la place à un parti unique, le Rassemblement de la libération, ultérieurement rebaptisé Union nationale, puis Union socialiste arabe, qui sert de relais aux officiers putschistes.
Après la proclamation de la République, de graves contradictions ne tardent pas à apparaître entre les nouveaux maîtres du pays. Nommé président de la République et président du Conseil, Néguib tente de s’imposer face à Nasser, qui cumule les fonctions de vice-président et de ministre de l’Intérieur. Leur rivalité provoque un blocage au sommet de l’État. Proche des Frères musulmans, Néguib est favorable au maintien du système libéral, alors que Nasser rêve de mettre en place un État laïc et centralisé. À l’issue d’un long bras de fer, le premier est écarté le 14 novembre 1954. Désormais seul maître à bord, Nasser met en uvre, à marche forcée, sa réforme agraire, qui vise à créer une classe de petits propriétaires terriens dévoués au nouveau régime et à limiter l’influence des « latifundiaires » alliés de la cour. Après avoir convaincu les Britanniques de plier bagage, il affiche son intention de se tenir à égale distance des Soviétiques et des Occidentaux. En 1955, il participe à la conférence de Bandung, en Indonésie, et devient, avec l’Indien Nehru et le Yougoslave Tito, l’un des fondateurs du Mouvement des non-alignés.
Las, le 19 juillet 1956, Américains et Britanniques refusent de financer la construction du barrage d’Assouan. Furieux, le raïs se jette dans les bras de l’URSS et, le 26 juillet 1956, nationalise la Compagnie internationale du canal de Suez. En guerre avec l’Égypte, depuis 1948, Israël réplique en envahissant la zone du canal du Suez. Début novembre, un corps expéditionnaire franco-britannique s’empare de Port-Saïd, puis est contraint de battre en retraite sous la pression conjointe des Américains et des Soviétiques.
L’Égypte devient le pays phare du monde arabe, tandis que Nasser incarne ses aspirations à la libération et à l’unité. Il apporte une aide massive aux nationalistes algériens du FLN, et, en 1958, crée avec la Syrie la République arabe unie, qui sera dissoute trois ans plus tard. Sous l’onde de choc de la révolution égyptienne, les monarchies libyenne, irakienne et yéménite s’effondrent. D’autres résistent, notamment au Maroc et en Arabie saoudite, mais sont sur la défensive.
Aujourd’hui, cet héritage républicain paraît fort mal en point. S’inspirant du clan Assad en Syrie, Moubarak père et fils s’apprêtent apparemment à rétablir la transmission héréditaire du pouvoir
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