La BD est-elle de gauche ?
Publié le 17 juin 2007 Lecture : 3 minutes.
Voilà une dizaine d’années que l’on se plaît à souligner le dynamisme de la bande dessinée en France. Évalué à plus de 300 millions d’euros, c’est l’un des secteurs les plus dynamiques de l’édition hexagonale. Quelque 3 700 nouveautés ont été publiées et 33,5 millions de volumes vendus en 2006. L’engouement pour le manga, qui représente plus de 38 % de ce total, est un élément d’explication. Mais ce n’est pas le seul. La créativité esthétique et narrative n’a jamais été aussi foisonnante. Un nouveau genre est même né, le roman graphique autobiographique, dans lequel s’est illustrée la Franco-Iranienne Marjane Satrapi avec sa désormais célèbre série Persepolis : 300 000 exemplaires vendus et une adaptation cinématographique couronnée par un prix au dernier Festival de Cannes (voir J.A. n° 2421).
Si la BD s’était mise à aborder peu à peu tous les sujets, il en est un qui lui échappait : la politique. Celle-ci est traditionnellement du ressort de la caricature. Alors que l’actualité au jour le jour est la matière même du dessinateur de presse, elle peut rapidement perdre son sens pour un auteur de BD, qui inscrit son travail dans la durée.
Peut-être faut-il situer en 2004 l’amorce d’un rapprochement entre deux univers, jusqu’ici étroitement cloisonnés. Cette année-là sort en effet L’Enquête corse (Albin Michel) de Pétillon. Sans que son album soit lié à la dernière actualité, le dessinateur du Canard enchaîné aborde de front la situation politique très particulière de l’île de Beauté. Le même Pétillon récidivera en 2006 avec L’Affaire du voile (Albin Michel), où il amène le lecteur à suivre les débats qui agitent la communauté musulmane de France.
Un autre pas significatif est franchi début 2005 avec Jul et son album Il faut tuer José Bové (Albin Michel) : pour la première fois, une BD est consacrée à un personnage politique.
Et puis arrive l’élection présidentielle, dont le dénouement a eu lieu le 6 mai dernier avec la victoire de Nicolas Sarkozy, qui voit la politique pénétrer en force l’univers du 9e art. De Vive la politique ! (Dargaud), album réunissant la fine fleur de la BD hexagonale (Claire Bretécher, Mandryka, Riad Sattouf, Anne Simon, Martin Veyron) à Objectif Élysée (Le Seuil) de Guy Birenbaum et Samuel Roberts, les titres s’enchaînent. Pour le meilleur et pour le pire Parmi les plus remarqués, Ségo, François, papa et moi (Hachette Littératures), où la politique est racontée de l’intérieur, puisque l’auteur, Olivier Faure, a été un proche collaborateur de François Hollande, le patron du PS, mais aussi et surtout La Face karchée de Sarkozy (Vents d’Ouest/Fayard).
Les auteurs de cette biographie sans complaisance du candidat de la droite sont des observateurs avisés de la chose publique : Philippe Cohen, journaliste à Marianne et coauteur du célèbre La Face cachée du Monde (Fayard), le dessinateur de Charlie Hebdo Riss et le bouillonnant avocat Richard Malka, celui-là même qui défendit l’hebdomadaire satirique dans l’affaire des caricatures danoises. Leur album fera un tabac : 25 000 exemplaires vendus en dix jours, cinq semaines en tête des ventes. Pour ne pas laisser en jachère un si bon filon, les trois compères ont publié le 15 mai dernier une suite à leur BD enquête. Dévoilant certains aspects méconnus de la toute récente campagne présidentielle, Sarko Ier (Vents d’Ouest/Fayard) devrait rencontrer un égal succès.
On aura compris quelle est l’orientation politique dominante de ces ouvrages. Si les essais publiés au cours des derniers mois ont plutôt égratigné le camp socialiste et sa candidate en particulier – Qui connaît Madame Royal ? (Grasset) de Philippe Besson a caracolé en tête des meilleures ventes dans l’Hexagone pendant de longues semaines -, la BD se positionne nettement à gauche. Le dessinateur, comme tout bon artiste, est un rebelle dans l’âme. Maigre consolation, mais consolation quand même pour un courant qui voit la plupart des instruments du pouvoir étatique lui échapper : il lui reste le pouvoir d’en rire.
