Bienvenue en Amérique !

Menotté dans un commissariat, voire expédié dans un pénitencier fédéral Voilà ce qui attend un étranger « suspect » aux États-Unis.

Publié le 17 juin 2007 Lecture : 3 minutes.

Gideon Rachman n’est pas un immigré somalien mort de faim. Ni une prostituée péruvienne. Encore moins un barbu exalté surgi de quelque bidonville de Karachi. Éditorialiste au quotidien Financial Times, qui n’a pas coutume d’appeler au jihad contre les Juifs et les Croisés, c’est un spécialiste reconnu des relations internationales. En 2003, il a pourtant été expulsé des États-Unis – « de manière ignominieuse », juge-t-il – et embarqué contre son gré dans le premier avion en partance pour Londres. Motif : il avait omis de se munir d’un visa de journaliste.

Des histoires de ce genre sont monnaie courante. Les étrangers qui en sont les victimes se retrouvent souvent menottés dans un commissariat. Voire expédiés dans quelque pénitencier fédéral. Rachman, qui a échappé au pire, raconte plaisamment sa mésaventure : « J’ai expliqué que j’étais un ancien étudiant de la Mission Fulbright, à Washington, que j’avais vécu pendant plusieurs années aux États-Unis, qu’il m’arrivait d’écrire dans des journaux américains, que je connaissais des gens haut placés et que mon pays combattait au côté de l’Amérique en Irak. Peine perdue. Avant le 11 Septembre, m’a expliqué un agent de l’immigration, nous aurions pu faire une exception. Aujourd’hui, c’est impossible. Nous nous sommes installés pour remplir le questionnaire d’usage. À la dernière question : avez-vous quelque chose d’autre à déclarer ?, j’ai répondu : non. L’employé m’a adressé un sourire : C’est bien, d’habitude, les gens nous suggèrent d’aller nous faire foutre. » Depuis, le nom de Gideon Rachman figure sur une liste sinon noire, du moins grise : celle des étrangers qui, ayant été une première fois expulsés, sont à surveiller de près en cas de nouvelle tentative d’entrer aux États-Unis.
Selon une enquête menée en décembre 2006 auprès d’un panel de voyageurs étrangers en situation régulière, 66 % des personnes interrogées se déclarent d’accord avec l’affirmation suivante : « À la moindre erreur, à la moindre réponse incorrecte à une question d’un responsable des services de sécurité ou de l’immigration, vous risquez d’être placé en détention pendant plusieurs heures ou davantage. » 39 % de ces mêmes personnes classent les États-Unis au premier rang mondial, loin devant les pays du Moyen-Orient, pour les tracasseries administratives à l’entrée sur leur territoire.

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Bien sûr, cette « hystérie », comme dit Rachman, a un prix. Le nombre des visiteurs étrangers a baissé de près de 20 % depuis 2000, entraînant la perte de 200 000 emplois et un manque à gagner de l’ordre de 93 milliards de dollars (70,6 milliards d’euros). L’industrie du tourisme n’est d’ailleurs pas la seule concernée. Selon le cabinet McKinsey, spécialisé dans le conseil en stratégie, New York risque, si la tendance actuelle se confirme, de perdre avant dix ans son statut de « capitale financière mondiale ». Quant à la main-d’uvre hyperqualifiée, elle est de plus en plus tentée de monnayer son savoir-faire sous des cieux plus cléments. « Il est beaucoup plus facile de recruter des étrangers de haut niveau au Royaume-Uni, explique le responsable financier d’une grande entreprise. Aux États-Unis, j’aurais les plus grandes difficultés à constituer l’équipe de spécialistes dont j’ai besoin – et je ne veux même pas perdre mon temps à essayer. »

Appelé récemment à témoigner devant le Congrès, Bill Gates, le patron de Microsoft, a estimé que « l’actuelle politique d’immigration incite les informaticiens les plus brillants à quitter les États-Unis – ou à ne pas s’y installer – au moment où nous en aurions le plus besoin ». De fait, les étudiants étrangers sont de moins en moins nombreux à s’inscrire dans les universités américaines, parce qu’ils savent qu’ils auront ensuite de sérieuses difficultés à trouver un emploi. Quant au nombre de visas de travail accordés annuellement à des salariés étrangers hautement qualifiés, il est passé de 200 000 en 2001 à environ 65 000 aujourd’hui.
Certes, il ne faut pas dramatiser : les universités, les banques d’affaires et les compagnies informatiques américaines restent d’indiscutables leaders mondiaux. Le gouvernement manifeste quelques velléités d’assouplir les procédures d’immigration en vigueur et le nombre des étudiants étrangers, comme celui des visas de travail délivrés, a recommencé à augmenter, l’an dernier. Mais quand Gideon Rachman a récemment demandé à l’un de ses amis américains, membre du Conseil national de sécurité, d’user de son influence en sa faveur, celui-ci ne s’est pas montré franchement enthousiaste : « Désolé, mais il me serait plus facile de déclencher un bombardement aérien que de faire retirer ton nom des ordinateurs des services de l’immigration ! »

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