Les chants des partisans

Conflit kényan, crise ivoirienne, Accords de partenariat économique mais aussi campagnes de sensibilisation ou de prévention, actions humanitaires… les artistes subsahariens se mobilisent. Et se font entendre.

Publié le 17 février 2008 Lecture : 5 minutes.

« La musique est un moyen rapide et efficace de toucher les populations. C’est pourquoi nous avons pris l’initiative dès le début des violences postélectorales de chanter la paix et la réconciliation », explique depuis Nairobi le rappeur Maji Maji. Lui et son alter ego Gidi Gidi ont sorti le 9 février les morceaux « Bamodja » et « Tulia » (respectivement « ensemble » et « calme » en swahili) avec la participation d’une douzaine de vedettes de la musique kényane. Les deux artistes devenus en quelques années des références en Afrique australe comptent sur leur popularité et sur le soutien des radios locales pour faire passer leur message.
En 2002, leur titre « Unbwogable » avait été utilisé par la Narc (National Rainbow Coalition, opposition) conduite par Mwai Kibaki pour mobiliser la jeunesse. La victoire lui était alors revenue Depuis lors, ils sont considérés au Kenya comme des leaders d’opinion. Encore peu connus dans le reste du monde, ils n’en illustrent pas moins l’existence sur le continent d’une nouvelle génération d’artistes déterminés à prendre la parole et à agir. Un engagement politique, social ou humanitaire exprimé de diverses manières. Textes engagés comme ceux des reggaemen ivoiriens Alpha Blondy et Tiken Jah Fakoly, qui, lorsque la crise grondait, furent parmi les premiers à tirer la sonnette d’alarme. Ou participation à des concerts à thèmes (Roll Back Malaria, contre le paludisme, Artistes pour l’enregistrement des naissances).
En République démocratique du Congo, Lexxus Legal (Pensée Nègre Brute, PNB), tête de file du hip-hop d’Afrique centrale, victime en 2004 d’une arrestation musclée pour avoir dénoncé la censure du rap dans les médias audiovisuels congolais, organise des campagnes de nettoiement des quartiers insalubres et distribue des préservatifs dans les boîtes de nuit pour lutter contre le sida et les MST. « Des actions à petite échelle certes, mais elles démontrent la volonté de poser des actes concrets », déclare-t-il.

Régulièrement sollicités
Pourvue de plus de moyens, la chanteuse sénégalaise Coumba Gawlo fera reconstruire cette année une école primaire dans la ville de Tivaouane, à une centaine de kilomètres de Dakar. Coup de l’opération : 180 millions de F CFA. Les fonds proviennent essentiellement de la coopération française. Elle doit cette victoire à sa renommée et à son acharnement. Également ambassadrice du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) pour la lutte contre la pauvreté, Coumba pense que toute implication pour une cause doit être « entière et spontanée ». « Il ne faut pas toujours attendre de l’argent », affirme-t-elle.
Un point de vue partagé par la star sénégalaise Youssou N’Dour, qui se souvient avoir été ému aux larmes lorsque Nelson Mandela l’a remercié pour sa participation à la lutte contre l’apartheid. En 1985, il avait organisé au stade de l’Amitié, à Dakar, un concert pour la libération du militant de l’ANC (Congrès national africain). Plutôt discret sur ses engagements personnels, Youssou N’Dour est également à l’origine d’avancées significatives dans les combats menés par les artistes musiciens sénégalais. Selon Abdoul Aziz Dieng, président de l’Association des métiers de la musique au Sénégal (AMS) et président du Conseil d’administration du BSDA (Bureau sénégalais des droits d’auteur), son investissement dans l’épineux dossier des droits d’auteur a favorisé l’adoption, en décembre 2007, d’une nouvelle loi mieux adaptée aux intérêts des artistes et des producteurs.
Modeste, Youssou reconnaît quand même que « l’artiste peut mettre la pression pour amener les décideurs à poser des actes concrets ». En 2003, par le biais de sa fondation, il a aussi financé la formation de 400 professionnels de la musique sur leurs droits, rappelle Dieng. L’opération avait coûté 40 millions de F CFA.
Les stars africaines Coumba Gawlo, Youssou N’Dour, Manu Dibango, Salif Keita, Miriam Makeba, Sékouba Bambino, Angélique Kidjo, Ray Lema, Pierre Akendenge sont régulièrement sollicitées par des organisations internationales actives dans l’humanitaire ou le social. « Même s’il n’est pas simple de mesurer de façon scientifique l’impact de leur collaboration, reconnaît à Dakar Stéfanie Conrad, responsable de la communication pour l’Afrique de l’Ouest de l’ONG Plan international, il est clair que leur présence permet de capter l’attention et de crédibiliser les événements. »

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Retombées financières
« Quand il faut récolter des fonds pour financer les programmes, c’est très important. En 2005, un concert organisé à Dakar par Plan international et diffusé en direct aux Pays-Bas dans le cadre d’une campagne de sensibilisation sur l’enregistrement des naissances et les droits des enfants a permis de récolter plus de 5 milliards de F CFA », ajoute Abdoul Aziz Dieng, précisant cependant que les vedettes engagées dans ces actions n’en tirent aucun bénéfice financier réel. « Beaucoup acceptent de participer gratuitement ou touchent des cachets seulement pour payer les musiciens qui les accompagnent. »
Si Youssou N’Dour ou encore Coumba Gawlo confirment que dans leur cas le sentiment d’être utile prime les retombées financières, d’autres moins connus constatent que la collaboration avec des organisations leur apporte du crédit et leur permet de conquérir un public plus large. Le chanteur congolais Saintrick dit être souvent interpellé par des inconnus qui ont vu le clip Nous sommes les tam-tams, titre phare de l’opus du même nom regroupant, avec le soutien du Pnud, 37 musiciens africains contre le sida. « Souvent, ils sont curieux d’en savoir plus sur mes activités avec mon groupe, les Tchiellys. Ça me fait une bonne petite promo. »
Depuis plus de deux ans, Plan International collabore avec la quinzaine de membres du réseau Aura regroupant des têtes d’affiche de dix pays d’Afrique francophone et anglophone (Awadi du Sénégal, Smockey et Smarty du Burkina Faso, Djo Dama du Mali, Waraba de la Mauritanie, Egalitarian de la Gambie) pour mener campagne en faveur des enfants. Après avoir été formés sur les droits des plus petits, ils ont enregistré Les Histoires extraordinaires des enfants du Poto-Poto, un album sorti en novembre 2007 dans lequel chaque rappeur joue un personnage en situation difficile (enfant-soldat, petite prostituée, mendiant). Ils se sont en outre récemment élevés contre les Accords de partenariat économique (APE). Sous l’impulsion d’Awadi, ils ont enregistré à Dakar la version panafricaine du morceau « On ne signe pas ». Pour faciliter la compréhension du message, les rappeurs se sont exprimés en français, anglais, wolof, dioula, mina et en arabe.
S’il est vrai que les rappeurs ont souvent irrité des pouvoirs à travers le continent, cette fois, au Sénégal en tout cas, leur engagement a été salué par le gouvernement. Certains ont même pensé qu’ils ont été manipulés. Ce dont se défend Awadi. « Ma position sur les APE n’est pas récente, et s’il est vrai que sur ce point l’État et moi partageons la même opinion, un jour, forcément, surgiront d’autres questions sur lesquelles nous aurons une vision opposée. Alors je n’hésiterai pas à m’exprimer », soutient-il. Sur la même lancée, Smarty, du groupe burkinabè Yeleen, également membre d’Aura, conclut en disant qu’« un artiste engagé est avant tout quelqu’un de franc et de sincère qui sait prendre position quand cela s’impose, et n’hésite pas à dire ce qu’il pense sans faire de calculs politiques ou autres ».

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