Impuissance subsaharienne
Il aura fallu attendre les images terrifiantes des centaines de clandestins lancés à l’assaut des enclaves espagnoles de Melilla et de Ceuta pour que chacun se sente concerné. Enfin ! Critiqués pour leur gestion de la crise, le Maroc et l’Espagne demandent la tenue d’une conférence Europe-Afrique entièrement consacrée à l’émigration. En attendant, on tente de parer au plus pressé, et les deux ministres chargés du dossier à Dakar et à Bamako ont fait le déplacement de Rabat. Oumar Hamadoun Diko, le ministre des Maliens de l’extérieur et de l’Intégration africaine, se montre conciliant, sinon rassurant. « Il s’agit d’une mission de concertation avec les autorités marocaines en vue d’identifier et de sécuriser nos ressortissants concernés par les derniers événements, puis d’organiser leur rapatriement volontaire », explique-t-il.
Sur les milliers d’Africains de toutes nationalités en déshérence au Maroc, plus de 600 Maliens et près de 500 Sénégalais ont été recensés. Les rotations aériennes mises en place pour les rapatrier sont présentées par Abdoul Malal Diop, le ministre des Sénégalais de l’extérieur, comme « un geste destiné à sauver des gosses désemparés qui ont crié leur désespoir en se précipitant sur les clôtures des enclaves espagnoles ».
Pourtant, au-delà de ces déclarations de circonstance, les pays subsahariens semblent avant tout bien démunis. Les réactions indignées d’Alpha Oumar Konaré, le président de la Commission de l’Union africaine, lors de sa dernière visite à Bruxelles, cachent mal l’impuissance des dirigeants africains devant l’ampleur du phénomène et les conditions insupportables dans lesquelles se déroule le « grand voyage » des émigrés clandestins. Insécurité grandissante aux frontières, apparition de filières clandestines et mafieuses… « L’appel de l’Europe » a donné naissance à une économie criminelle.
« Devant ce drame humain, les pays africains n’ont pas le choix. Il leur faut mener une politique d’émigration coordonnée et définir une position commune vis-à-vis de l’Europe, estime Diko. Il est illusoire de prétendre arrêter ce flux migratoire alors qu’il existe actuellement 200 millions de migrants à travers le monde, contre 80 millions en 1970. On peut seulement l’organiser et l’orienter en fonction des capacités des pays d’accueil. »
Abdoul Malal Diop, son collègue sénégalais, insiste pour sa part sur la nécessité d’harmoniser les règles de circulation en vigueur lors des contrôles aux frontières et d’obtenir une aide de l’Union européenne. « Comment voulez-vous que des pays aussi vastes que la Mauritanie ou le Mali puissent surveiller l’ensemble de leur territoire alors que l’Europe n’y parvient pas avec des moyens policiers autrement plus importants », interroge-t-il. Plusieurs pays de la sous-région ont par ailleurs lancé des campagnes d’information dans les aéroports, les gares et certains postes frontières afin d’alerter les candidats au départ sur les réalités qui les attendent. Il n’est pas certain que cette tentative de sensibilisation suffise à convaincre une jeunesse persuadée que son avenir est ailleurs. Les espoirs déçus alimentent tous les fantasmes. D’autant que l’Europe propose bel et bien des emplois, la plupart du temps sous-payés, non déclarés, précaires, mais néanmoins sources de revenus.
L’économie ouest-africaine dépend dans une large mesure de la manne que représente la diaspora. Plus de 200 milliards de F CFA (300 millions d’euros) sont rapatriés chaque année au Mali et, officiellement, 309 milliards au Sénégal, par l’intermédiaire des banques. Cet apport de liquidités pourrait servir de levier au développement s’il était utilisé pour financer une multitude de petits projets et aider du même coup à fixer les populations. Mais, à ce jour, il sert surtout à acheter des biens de consommation ou à investir dans l’immobilier. « Les discussions avec l’Europe doivent concerner tous ces aspects, plaide Oumar Hamadoun Diko. La fermeture des frontières sans un renforcement de la coopération ne sera jamais une solution. »
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