Les surprises du chef

Avec le nouveau gouvernement, le président Paul Biya a, comme à son habitude, déjoué les pronostics, repris les choses en main et mis un terme aux velléités de guerre pour sa succession.

Publié le 16 septembre 2007 Lecture : 5 minutes.

Le 7 septembre dernier, le Cameroun s’est doté d’un nouveau gouvernement. Sa formation était attendue depuis la fin du mois de juillet, après des élections législatives et municipales remportées haut la main par le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC), au pouvoir. Du marchand ambulant de Douala au happy few de l’élite politico-administrative de Yaoundé, personne ne savait ni l’heure ni le moment que choisirait le chef de l’État pour l’annoncer. Tant il aime à fausser la boussole des observateurs. Cette fois encore, dans le style et dans le rythme, Paul Biya a surpris son monde. La classe politique se perd en conjectures. L’opinion compte, elle, les coups et hasarde des explications sur ce trait de plume qui fait et défait les carrières. Tandis que les analystes s’interrogent sur les intentions du chef dans la configuration du nouveau paysage politique.
Deux alliés indéfectibles du parti au pouvoir depuis 1992 sortent du gouvernement : Dakole Daïssala, du Mouvement démocratique pour la défense de la République (MDR), et Augustin Frédéric Kodock, de l’Union des populations du Cameroun (UPC). Tous deux ont payé comptant leur incapacité à conserver leur siège de député à l’Assemblée. Le premier, titulaire du portefeuille des Transports, a en outre essuyé des critiques en mai dernier pour sa gestion jugée « calamiteuse » du crash du Boeing 737 de la Kenya Airways non loin de Douala. Seule son alliance passée avec la majorité justifiait encore son maintien aux affaires. L’éviction de ce Kirdi de l’extrême Nord profite à Gounoko Haounaye, gouverneur du Littoral, qui, en son absence, avait géré la catastrophe aérienne.
Augustin Frédéric Kodock n’était pas moins controversé. Gêné par des rivalités internes à son parti, il a perdu le soutien de son fief électoral du Nyong-et-Kellé, dans la province du Centre. Par ailleurs, il a aussi été mis en cause par un audit pour sa gestion au ministère de l’Agriculture et du Développement en 2004. Avec quatre sièges à l’Assemblée, l’Union nationale pour la démocratie et le progrès (UNDP), de Bello Bouba Maïgari, conserve son statut de troisième parti de l’échiquier et garde les Postes et Télécommunications.
Cependant, le grand fait marquant du remaniement est sans conteste le « licenciement sec » d’une demi-douzaine de poids lourds, qui ont constitué la colonne vertébrale des différentes équipes dont Paul Biya s’est entouré depuis une bonne décennie. Trois quinquagénaires sont représentatifs d’une génération dont on dit qu’elle piaffe d’impatience dans l’antichambre du pouvoir. Pour Jean-Marie Atangana Mebara, 54 ans, le département des Relations extérieures n’aura été que l’ultime étape vers une sortie vraisemblablement programmée. Passé par l’Enseignement supérieur puis par le très stratégique secrétariat général de la présidence de la République, ce diplômé en sciences de l’éducation était l’une des plus grosses pointures de la province du Centre. Il est remplacé par Henri Eyebe Ayissi à la tête de la diplomatie.

Le tout-puissant ministre de l’Économie et des Finances Polycarpe Abah Abah est évincé alors que son superministère éclate en deux entités. Plus technocrate que politique, cet inspecteur des régies financières peut mettre à son crédit la réforme de la direction des impôts et d’avoir imposé la culture du résultat à la très sclérosée administration des Finances. Mais la presse locale lui a fait le procès de s’être enrichi sur le dos de l’État. Et rien de ce qu’il plaide pour sa défense n’a pu faire taire les rumeurs de poursuites judiciaires. Il est remplacé aux Finances par son collègue du Budget Lazare Essimi Menye, un économiste venu du FMI. Polycarpe Abah Abah devra aussi faire avec l’ascension de son ennemi Pierre Titi, directeur de la Solde, promu ministre délégué auprès du ministre des Finances.
C’est au tandem Essimi-Titi que revient la charge de traiter avec la mission conjointe FMI-Banque mondiale, de passage à Yaoundé depuis le 6 septembre et dont les travaux ont été suspendus le temps du remaniement. Dans l’objectif de l’amélioration des indicateurs économiques et de l’accélération des privatisations des entreprises publiques, ils seront associés à Louis-Paul Motazé, nommé à l’Économie et la Planification.
L’autre grand partant est Urbain Olanguena Awono, 52 ans, économiste passé par les Finances comme secrétaire d’État, puis secrétaire général sous l’autorité de plusieurs titulaires du poste. Il a hérité du maroquin de la Santé en 2001. Sur le front de la lutte contre le sida, il est parvenu à la gratuité des antirétroviraux. Mais c’est aussi sous son autorité qu’une multinationale pharmaceutique a expérimenté un vaccin contre le VIH sur les prostituées à Douala, les exposant à des risques de contamination élevés. Le nouveau patron de la Santé est un polytechnicien de 57 ans, André Mama Fouda, natif du troisième arrondissement de Yaoundé, dont il a été maire sous l’étiquette RDPC.
Par ailleurs, le philosophe Ebénézer Njoh Mouelle aura le loisir d’assurer à plein temps la promotion de son dernier livre, Discours sur la vie quotidienne, publié aux éditions Afrédit en février 2007. Après une année seulement à la tête de la Communication, il laisse sa place à un journaliste, Jean-Pierre Biyiti Bi Essam. Ferdinand-Léopold Oyono, 78 ans, en charge de la Culture, membre des différents gouvernements depuis vingt-deux ans, ami et confident de Paul Biya, et qui ne s’est pas complètement remis de ses ennuis de santé, laisse son poste à Ama Tutu Muna, fille de feu Salomon Tandeng Muna, une des figures historiques de la réunification des Cameroun anglophone et francophone. De même, Gervais Mendo Ze, ancien directeur général de l’influente Cameroon Radio Television (CRTV), placardé ministre délégué à la Communication depuis trois ans, n’a pas vu son bail renouvelé.
Reste bien en place, autour du Premier ministre Ephraïm Inoni reconduit, le cercle des fidèles, dont Laurent Esso au secrétariat général de la présidence, avec René Emmanuel Sadi pour le seconder, cumulativement avec ses fonctions de secrétaire général du Comité central du RDPC. Aucun changement n’est à relever parmi les ténors du Grand Nord. Paul Biya n’a pas contrarié la trajectoire du garde des Sceaux Amadou Ali, ni celle de Marafa Hamidou Yaya à l’Administration territoriale.

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L’essentiel de l’équipe que le chef de l’État vient de constituer pourrait bien rester en place jusqu’à la fin de son mandat, en 2011. Au cas où l’énigmatique Paul Biya décidait de modifier la Constitution pour briguer un nouveau mandat, il pourrait compter sur les 152 députés de son parti, qui siégeront à l’Assemblée nationale jusqu’en 2012. Et s’appuyer sur un « gouvernement de combat ». À charge pour ce dernier de relever le défi du chômage des jeunes et de l’amélioration du pouvoir d’achat des ménages, mais aussi de la performance économique et de la lutte contre la pauvreté pour affronter, le cas échéant, les eaux dangereuses de la modification constitutionnelle.
Le fidèle Cavaye Yeguié Djibril reconduit au perchoir de l’Assemblée, les soldats perdus du G11 (un mystérieux groupe qui s’était constitué dans la perspective de l’après-Biya) écartés, le président garde la main et manifeste sa volonté de reprendre tous les leviers du pouvoir. Le message est clair : pas de course à la succession avant terme.

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