Le secret de Pierre Messmer

Publié le 16 septembre 2007 Lecture : 2 minutes.

Un lundi d’octobre 1998, le bureau de l’Académie des sciences morales et politiques se réunit à 14 heures, comme chaque semaine. Dès l’ouverture de notre réunion, Pierre Messmer demanda à prendre la parole pour une « affaire exceptionnelle », et, avec le plus grand calme, il nous raconta, en nous demandant de garder provisoirement le secret, une histoire de sa vie militaire. Pendant la dernière guerre, à l’époque où Rommel cherchait à gagner Alexandrie, il était lui-même lieutenant en Cyrénaïque. Il fut convoqué par son commandant et un officier des services secrets britanniques qui lui donnèrent l’ordre de partir avec sa section pour détruire un camp ennemi installé dans le désert pour assurer des transmissions radio. Après ce coup de force, sa section et lui-même seraient récupérés à un endroit bien précis par des camions alliés.

Messmer accomplit sa mission « avec facilité », car les Italiens qui occupaient ce camp étaient peu nombreux et furent totalement surpris. Puis, il repartit vers le point de rendez-vous convenu avec les prisonniers italiens. Là, ils attendirent longtemps, très longtemps, et finirent par décider de rentrer, sans vivres et sans moyens, en abandonnant leurs prisonniers. Ce retour fut un calvaire sous le harcèlement des avions allemands, qui les avaient repérés, et ils ne furent que deux rescapés à regagner finalement la base. Messmer alla demander des explications à son commandant, qui lui répondit tout de go : « Je n’ai envoyé personne, car j’étais persuadé que vous seriez tous morts dans l’opération. » Messmer ne lui cacha pas son indignation.

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Plus tard, lorsqu’il était Premier ministre, il reçut la visite de son ancien supérieur, qui lui présenta ses remords tardifs. Mais voici que, bien des années plus tard, il venait de recevoir une visite inattendue, celle du fils de cet officier, qui venait de mourir en lui demandant de porter à Messmer, à titre de réhabilitation morale posthume, une serviette en cuir usé contenant ses économies. Messmer tenta de refuser, mais son interlocuteur fut intransigeant : il ne repartirait pas avec la serviette de son père. Messmer, qui ne souhaitait, on s’en doute, aucune compensation financière à ce drame lointain, ne voulait pas conserver cet argent et souhaitait en faire don à l’Académie des sciences morales et politiques pour créer éventuellement une fondation.

Autour de la table, dans un silence total, nous nous sommes longtemps regardés et interrogés. J’ai tenté de faire remarquer à Pierre Messmer que cet argent lui appartenait en propre et qu’il n’était pas indécent qu’il puisse le conserver. Il me rabroua vertement. Nous avons alors décidé d’attester par nos signatures l’authenticité de ce don. Messmer nous demanda de ne pas ébruiter cette révélation, même s’il me confia plus tard : « Gardez le silence pour l’instant. » Nous avons tenu parole. Mais à sa mort, je me sens délié de cette promesse.

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