Les bateaux de la discorde

Cinq ans après le naufrage du Joola, les familles des victimes se sentent abandonnées. Alors que les usagers du nouveau ferry doivent rester à quai.

Publié le 16 septembre 2007 Lecture : 3 minutes.

Une agréable odeur de tiep bou diene (riz au poisson) flotte dans la maison d’Ibrahima Ndaw, 63 ans. Il est bientôt midi. Tout est calme, très calme. À 13 heures, il déjeunera seul. Il y a cinq ans, à cette même heure, ses filles couraient, riaient, chantaient, se blottissaient contre son cur, se souvient-il. Elles s’appelaient Marie-Émilie, Marième et Ndèye Lissa. Elles avaient onze, neuf et sept ans. Le 26 septembre 2002, les trois surs ont disparu dans le naufrage du Joola, le ferry qui assurait la liaison entre Dakar et Ziguinchor, dans le sud du pays. Dans quelques jours, comme tous les ans depuis la tragédie, une séance de prières et une récitation du Coran seront organisées chez lui à la mémoire de ses enfants. Et des 1 863 personnes qui ont péri dans ce qui est considéré comme la plus grande catastrophe maritime de l’histoire du pays.
Cinq ans après, si bon nombre de Sénégalais donnent l’impression d’avoir oublié le drame, les proches des victimes, eux, essaient de faire entendre leurs voix. Tant bien que mal. « L’État fait comme si la catastrophe n’avait jamais eu lieu », déplorent-ils. « À moins de deux semaines de la commémoration de la tragédie, on ignore toujours quand, où et comment se déroulera la cérémonie officielle », dénonce Boubacar Bâ, porte-parole de l’association nationale des familles des victimes et rescapés du naufrage du Joola. « À l’heure actuelle, il n’existe aucun véritable monument érigé à la mémoire des disparus. » Au-delà de l’oubli, ce qui le révolte, c’est le silence des autorités. En dépit des nombreux appels au dialogue lancés par les associations depuis 2005, l’État a, semble-t-il, délaissé le dossier.

« Certes, les engagements ont été respectés en matière d’indemnisations. Plus de 1 370 familles ont reçu 10 millions de F CFA [environ 15 200 euros, NDLR] par victime, concède Idrissa Diallo, président du Collectif de coordination des familles des victimes du Joola (CCFV/J). Mais la prise en charge des orphelins n’a toujours pas été réglée. Officiellement, on en compte 1 900. Et 1 442 attendent d’être scolarisés. Même s’ils ont obtenu le statut de pupille de la nation en novembre 2006, ils ne sont toujours pas pris en charge. » D’après le président du CCFV/J, certaines ONG, comme la Croix-Rouge et le Village d’enfants SOS du Sénégal, ont pris le relais. Mais cela reste insuffisant.
Les veuves, elles, ne sont pas mieux loties. « Presque toutes les femmes ont été dépouillées par les parents, les frères et les surs de leur époux disparus, affirme Idrissa Diallo. Un jour, une veuve m’a appelé pour me dire que son bébé de neuf mois a été enlevé par sa belle-famille, qui voulait toucher l’indemnité. » Certaines ont réussi néanmoins à obtenir des microfinancements et à se constituer en groupement d’intérêt économique (GIE) pour subvenir à leurs besoins. Sans grand résultat pour le moment. Faute d’assistance. « Le gouvernement, avec l’aide des bailleurs de fonds, devrait trouver les moyens de soutenir leurs initiatives », lance Idrissa Diallo.
Ce sentiment d’abandon est également partagé par les rescapés regroupés au sein d’une association. Cheikh Niang, un commerçant âgé de 33 ans, en est le vice-président. Selon lui, la Commission sociale mise en place au lendemain du drame par le ministère de la Famille n’est plus effective. « Cela fait environ deux ans que je ne n’ai pas été convoqué à une réunion. Et l’accès au ministère est devenu quasi impossible. Aujourd’hui pourtant, sur les 20 milliards de F CFA qui avaient été débloqués par l’État pour venir en aide aux familles des victimes et aux soixante-cinq survivants, il reste 6 milliards, affirme Cheikh Niang. Nous voulons que ces fonds soient utilisés pour financer des programmes sociaux en faveur des familles et des rescapés. » Le calvaire des familles endeuillées est loin d’être terminé

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