La bataille de Paris a commencé

Une rivale contestée dans son propre camp, une popularité croissante, y compris parmi les électeurs de droite Le maire socialiste de la capitale Bertrand Delanoë semble bien placé pour se succéder à lui-même en mars 2008.

Publié le 16 septembre 2007 Lecture : 7 minutes.

Quatre mois après l’affrontement Sarkozy-Royal, un nouveau duel s’annonce entre Bertrand Delanoë et Françoise de Panafieu pour la conquête du pouvoir à Paris. Encore un homme et une femme, selon la loi des nouveaux temps politiques, avec cette fois avantage à la droite pour l’émancipation féminine ; et il s’agit bien d’un pouvoir à conquérir.
La réforme de Valéry Giscard d’Estaing, en donnant un maire à la capitale à l’instar de ce qui venait de se décider pour Londres, l’a voulu ainsi. La ville était jusqu’alors administrée par des préfets, survivance historique de la peur qu’elle a toujours inspirée aux pouvoirs en place avec ses barricades, ses révolutions et sa population soupçonnée de garder la tête près du bonnet phrygien. Dès qu’il arrivait malheur aux souverains, ils fuyaient pour ne pas y être pris en otage. Panafieu va aujourd’hui plus loin que Giscard en proposant ingénieusement que le maire de Paris soit élu à l’avenir non plus par l’assemblée municipale mais au suffrage universel direct des Parisiens. Il y suffirait d’une loi du Parlement.

Une autre singularité explique l’importance et l’âpreté de la compétition parisienne. L’Hôtel de Ville n’est pas une mairie comme les autres. Avec ses 41 000 cadres et employés, son budget annuel de 6,7 milliards d’euros, ses marchés et ses adjudications, il est un lieu exceptionnel de puissance et d’influence. On a vu comment Jacques Chirac en avait fait la base arrière de sa campagne pour l’Élysée. Dans son immense bureau, comme n’en dispose aucun chef d’État, sauf peut-être le pape en ses fastes du Vatican, le maire reçoit à sa guise les grands dirigeants du monde.
Une troisième similitude rapproche l’élection élyséenne et l’élection parisienne, et figure sans doute en bonne place dans les raisons pour lesquelles Delanoë a décidé de se représenter. Une nouvelle victoire à Paris accroîtrait sensiblement ses chances de s’imposer au Parti socialiste (PS), où il apparaît déjà, qu’il en prenne ou non la direction, comme une alternative de plus en plus crédible à la funeste rivalité Hollande-Royal, ainsi qu’à la disgrâce persistante des « éléphants » chez les militants. Delanoë était depuis des années l’homme qui monte au PS, où beaucoup ne cessaient de descendre. La seule annonce de sa candidature parisienne, réservée à dessein pour le bon moment et le bon endroit de l’université socialiste de La Rochelle, a sensiblement accéléré la montée de son étoile. Horizon Élysée ? Il se défend, bien entendu, de la stratégie à long terme que lui prêtent ceux qui ont appris à découvrir ses ressources de patience et la force de sa détermination. Et comme toujours, ses dénégations rituelles – « ce n’est pas d’actualité je ne rêve pas du pouvoir », mais aussi « je n’exclus rien » – n’ont fait que renforcer les rumeurs qu’il prétendait décourager.
Face à lui, Françoise de Panafieu se lance avec un évident déficit de notoriété. Ce handicap explique aujourd’hui encore la contestation de sa candidature au sein de l’UMP, malgré sa brillante désignation en février 2006 par les 30 000 adhérents parisiens et l’ensemble des dirigeants nationaux du parti. Une décision sans appel au sens littéral du terme puisque ses concurrents, et non des moindres – Pierre Lellouche, Claude Goasguen, Jean Tiberi – ont préféré se désister avant le 2e tour de la primaire. Le doute a cependant longtemps persisté sur sa capacité de rivaliser à armes égales avec le maire sortant. Quelques grandes pointures ont été approchées pour l’obliger à se retirer. Jean-Louis Borloo, ministre du gouvernement Fillon, a paru hésiter, puis a finalement renoncé, peu désireux, semble-t-il, de fournir à Sarkozy un nouveau grief contre lui. « Elle n’est peut-être pas idéale et ne fait pas l’unanimité », remarque Jean-François Legaret, l’influent maire du 1er arrondissement, avant de se rassurer de ce mol espoir : « Tout le monde estime Delanoë imbattable, mais il est déjà arrivé que les favoris se cassent la figure. » Jean Tiberi reconnaît lui aussi que ce sera « très dur », mais veut parier que « c’est gagnable » en invoquant son propre exemple, puisqu’il a été réélu aux législatives de juin dans son fief du 5e, avec plus de voix que n’en avait obtenues Ségolène Royal à la présidentielle.
Reste qu’à cette dernière élection les socialistes et leurs alliés ont raflé 13 circonscriptions sur 21 et peuvent toujours se prévaloir, pour les municipales de 2008, des bons scores de Royal dans la capitale. Seul désormais le professeur Bernard Debré, avec l’autorité dynastique de son nom (fils de Michel, frère de Jean-Louis) et son prestige de grand patron hospitalier, juge le choix de Panafieu comme une « erreur de casting », objecte qu’elle n’a ni le poids ni la dimension nécessaires, se déclare seul capable de fédérer sur son nom les bayrouistes du MoDem, les électeurs du Nouveau Centre et les radicaux toujours vulnérables aux illades de la gauche. Après avoir demandé en vain l’annulation à son profit de l’investiture de Panafieu et réclamé l’appui de Sarkozy, il ne se ralliera pas « à une cause perdue », mais ne se reniera pas non plus « en se présentant séparément ». Panafieu lui a offert la tête de liste UMP dans l’arrondissement « clé » du 12e, mais attend toujours qu’il l’appelle. Debré affirmait pour justifier sa dissidence que l’Élysée ne donnait aucune chance à la candidate, allant jusqu’à demander ouvertement si le chef de l’État n’avait pas fait une croix sur Paris, suggérant pour finir une entente tacite sur un partage de pouvoir : l’UMP laisserait Paris à la gauche pour se réserver l’Île-de-France aux prochaines élections régionales.

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Inquiet de voir se répéter les divisions de clans et les venimeuses querelles de personnes qui ont livré, pour la première fois dans l’Histoire, la gouvernance de Paris à la gauche, Sarkozy a tranché, et dans le vif. Il a reçu à l’Élysée Panafieu pour lui apporter ostensiblement son soutien. « Définitivement », précisait à toutes fins utiles le secrétaire général de l’UMP Patrick Devedjian, tandis que la candidate colmatait les dernières brèches de son investiture en déclarant haut et fort : « Pour moi, la campagne a commencé. » Elle le prouvait aussitôt en présentant son avant-projet, où figurent une trentaine de mesures sélectionnées parmi la centaine issues des « forums » de quartier. Programme classique en faveur du logement, de l’emploi, de la solidarité, etc., relevé de quelques propositions chocs : outre l’élection directe du maire par le peuple de Paris, déjà mentionnée, la création de trois « quartiers écologiques », la couverture du périphérique, l’organisation de référendums locaux au nom de la démocratie participative chipée au passage à Royal, le renforcement des pouvoirs de l’opposition emprunté à Sarkozy.
Sur chacun de ces chapitres, on imagine que Delanoë et ses équipes ne seront pas en reste d’initiatives originales plus ou moins retentissantes. Non plus que sur la politique d’ouverture largement offerte aux centristes par Panafieu et qu’envisage aussi Delanoë, mais à condition de la négocier « sur des engagements de fond ». Cette touchante unanimité n’inspire pour le moment qu’une méfiance ironique à Marielle de Sarnez, l’ex-directrice de campagne de François Bayrou : « On est très courtois avec nous, les tapis rouges se déroulent des deux côtés. »
Géographiquement, la bataille devrait se jouer une nouvelle fois à l’est de Paris, plus particulièrement dans les 12e et 14e arrondissements. Une victoire de la droite dans ces deux secteurs stratégiques lui garantirait, avec douze sièges de plus, une large majorité au Conseil. Le 14e paraît difficilement récupérable aux « pointeurs » de l’UMP. Dans le 12e, en revanche, la situation se présente plus favorablement. En 2001, il avait suffi que six cents électeurs lâchent subitement la majorité, écurés par les rivalités entre le maire UDF Jean-François Pernin, le député Jean de Gaulle, imprudemment imposé au RPR local par Jacques Chirac en 1988, et son irréductible adversaire du même parti, Jean-Pierre Wechter, pour que la gauche l’en évince. Avec ce seul apport providentiel de 6 sièges, l’alliance des socialistes, des Verts et des communistes faisait basculer l’Histoire, assurait l’élection de Delanoë et prenait enfin la capitale. « La droite peut retrouver au moins une partie des sièges perdus, analyse Vincent Casa, lui-même conseiller du 12e depuis 1995, si elle réussit à s’unir de nouveau sur des candidats de réconciliation. Elle devrait grappiller le complément nécessaire dans les autres arrondissements. Avec huit de mieux, c’est gagné. »

Tout va dépendre de la position que va prendre Sarkozy. Lui seul peut, s’il le veut, imposer des candidats d’union qui ramènent les électeurs égarés. C’est dans son tempérament d’intervenir. C’est aussi dans la logique de son slogan présidentiel « Ensemble tout est possible ». Quelles que soient les incertitudes de l’issue, il ne risquerait guère à s’engager. Que la bataille de Paris soit gagnée ou perdue, le résultat lui en sera de toute façon imputé. Il ne fait guère de doute, malgré les habituels vux pieux de « combats d’idées », que l’élection se jouera beaucoup moins sur les valeurs gauche/droite que sur les grands dossiers controversés des nouvelles conditions d’existence à Paris. Deux principalement : les difficultés de logement, qui rétrécissent comme peau de chagrin une population réduite à 2 millions d’habitants par la hausse des loyers et la prolifération des bureaux ; les embarras de la circulation en dépit ou à cause du dernier succès remporté par Delanoë avec ses paris gagnés du tramway des Maréchaux et, surtout, de l’opération Vélib’. « Je vous aime, Monsieur le Maire », écrit une dame extasiée de redécouvrir la capitale du haut de sa bécane municipale et dont Le Monde publie significativement la lettre. Ce subit engouement pour des pistes cyclables jusqu’ici obstinément délaissées peut-il compenser l’exaspération des automobilistes englués dans les embouteillages, privés d’un nombre croissant de places de stationnement, condamnés à cet « enfer » que leur avait joyeusement promis le chef des conseillers Verts Denis Baupin ?
On dit familièrement des abstentionnistes qu’ils « votent avec leurs pieds ». C’est au contraire le pied sur le frein de leur voiture, ou sur la pédale de leur bicyclette, que les Parisiens décideront, les 9 et 16 mars 2008, du sort politique de la ville la plus visitée du monde.

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