Face à la déferlante chinoise

Réactivité, intégration, réduction des coûts, les industriels africains organisent la riposte. Maroc et Tunisie en tête.

Publié le 16 septembre 2007 Lecture : 5 minutes.

« S’adapter ou mourir. » Pour banale qu’elle puisse paraître, jamais l’expression n’aura pris autant de sens face aux enjeux qui se dessinent dans l’industrie mondiale du textile et de l’habillement. La fin, en janvier 2005, de l’Accord multifibre (AMF) qui attribuait des quotas vers les pays riches a totalement bouleversé la donne et sonné l’arrivée tonitruante de la Chine et de l’Inde. Aux États-Unis, les importations de textiles et vêtements venus de l’empire du Milieu ont dépassé les 27 milliards de dollars en 2005, en hausse de plus de 100 % en cinq ans. Même afflux en Europe, où les importations se sont élevées à 28 milliards de dollars la même année. Une tendance qui inquiète au plus haut point les grands producteurs textiles des pays en développement, d’autant que les limitations fixées en juin 2005 sur dix catégories de produits en provenance de Chine disparaîtront définitivement au 1er janvier 2008. L’angoisse touche particulièrement le continent africain où les produits textiles peuvent représenter jusqu’à 75 % des exportations. Des pays comme l’Afrique du Sud, le Maroc, le Kenya, l’Ouganda, Madagascar, Maurice ou la Tunisie ont choisi d’en faire le moteur de leur développement Mais c’était compter sans le made in China.
Selon le cabinet de consultants spécialisé dans le textile, Werner International, le coût horaire moyen ?d’un ouvrier chinois est imbattable (voir infographie). Résultat : de nombreux opérateurs diminuent déjà leurs investissements en Afrique pour se diriger vers l’Asie, les industriels anticipent une chute de la production, et le nombre de chômeurs du textile africain s’accroît. Il frôle aujourd’hui la barre des 300 000, selon la Fédération internationale des travailleurs de l’industrie, de l’habillement et du cuir (FITTHC). Certains accords comme « Tout sauf les armes » de l’Union européenne et l’African Growth and Opportunity Act (Agoa) lancé par les États-Unis en 2000 ont certes permis jusqu’à présent de soutenir les exportations africaines en proposant des franchises de droits de douane ou l’absence de contingentement. Mais cela ne doit pas faire illusion. Malgré les avantages qu’ils représentent pour les industries africaines, ils n’ont permis de contrebalancer que partiellement les conséquences de l’abandon de l’AMF. En outre, les entreprises africaines doivent composer avec une autre menace, qui touche cette fois leurs propres marchés : la fripe. En quelques années, cette activité est devenue un business lucratif dans bien des pays. Chaque mois des centaines de balles, essentiellement venues d’Europe, déversent leur contenu sur les marchés des grandes capitales, offrant aux consommateurs l’opportunité de se vêtir à moindre coût, au grand dam des filières locales. En cinq ans, la Cotonnière industrielle du Cameroun (Cicam) a perdu plus de la moitié de son chiffre d’affaires et s’est séparée du quart de son effectif

Petites séries et flux tendus
Face à ces menaces, certains pays commencent toutefois à organiser la riposte. Le Maroc et la Tunisie, notamment, sont en première ligne et cherchent à mettre en valeur leur proximité avec le marché européen. Réactivité, flux tendus et réduction des coûts comme des délais de livraison sont devenus les nouveaux credo. « Aujourd’hui, les donneurs d’ordres espagnols, français ou italiens peuvent changer de collection jusqu’à six fois par an. Ils préfèrent donc limiter les stocks et cherchent des entreprises capables de répondre à leurs besoins très rapidement. Nous sommes, nous, capables de les fournir en une dizaine de jours seulement », explique-t-on à la direction du groupe marocain Datma, basé à Casablanca, qui emploie quelque 800 personnes. Le groupe compte une dizaine de clients européens, parmi lesquels Kiabi, Burton, Camaieu ou Zara. À Rabat, les autorités l’ont bien compris et s’y mettent aussi, via le lancement de grands projets de désenclavement et d’aménagement, comme le port Tanger Med. Les efforts portent enfin sur les conditions sociales et environnementales de production, auxquelles les consommateurs européens accordent une importance croissante lors de l’achat d’un produit.

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Sortir du rôle de sous-traitant
Sera-ce suffisant ? « Les Chinois ne pourront pas indéfiniment compresser le temps, et leurs structures de production restent largement tournées vers les gros volumes. Ils sont bien moins flexibles », avance, rassurant, Mohamed Tamer, le président de l’Association marocaine des industries du textile et de l’habillement (Amith). Il n’empêche. Une récente étude réalisée par l’Institut français de la mode (IFM) souligne la nécessité pour le textile maghrébin d’évoluer vers la cotraitance pour assurer sa survie. « Les entreprises marocaines et tunisiennes doivent sortir de leur rôle unique de sous-traitant. Elles doivent proposer davantage de services à leurs donneurs d’ordres pour accroître leur valeur ajoutée », explique Gildas Minvielle, l’auteur du rapport. Matières premières inexistantes, filières amont (filature, tissage, ennoblissement) déficientes : le risque, pour elles, est en effet de se voir déborder par d’autres concurrents comme la Turquie, dont l’industrie textile est beaucoup plus intégrée. La politique d’accords développée depuis quelques années par les deux pays (accords de libre-échange signés par le Maroc avec la Turquie et les États-Unis en janvier 2006 d’une part, accord de libre-échange signé entre la Tunisie et la Turquie en juillet 2006 de l’autre) vont en ce sens.
Ailleurs sur le continent, d’autres stratégies voient également le jour. De nombreuses entreprises accroissent leurs investissements dans la recherche-développement et cherchent à atteindre des économies d’échelle, notamment sur le segment haut de gamme qui ne subit pas encore les assauts chinois. À l’image de la Compagnie mauricienne de textile (CMT), acteur majeur du segment du tee-shirt et premier opérateur de l’île. La CMT a décidé de doubler ses capacités grâce à un plan de 80 millions d’euros sur trois ans. Le numéro deux du pays, Ciel Textile, s’est lancé dans une stratégie similaire. La confection de vêtements professionnels (médecine, industrie) est aussi une piste suivie à Maurice, où plus d’une dizaine d’opérateurs ont décidé de s’y consacrer exclusivement. Le marché mondial devrait représenter 150 milliards de dollars d’ici à 2010, contre 90 milliards en 2000, avec une demande soutenue de l’Europe et de la Chine.
Parmi les autres débouchés, mais sur des marchés de taille plus restreinte, figurent les textiles techniques, l’ennoblissement des étoffes et les productions issues du coton biologique ou du commerce équitable. Le recentrage vers les marchés sous-régionaux est également en vogue à Madagascar, qui cherche à se déployer dans les pays de la South African Development Community (SADC). Propriété du groupe Socota, de l’homme d’affaires Salim Ismaël, Cotona mise ainsi sur sa filiale mauricienne Socota Textile Mills pour accroître ses rendements et pénétrer le marché sud-africain. « Les centrales d’achat européennes et américaines prennent conscience qu’il n’est pas forcément sain de délocaliser toute leur production en Chine », explique son directeur. Des projets sont en cours avec le Mali et le Burkina pour la confection de produits équitables. L’Afrique n’a pas le choix : se distinguer ou laisser filer.

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