Bouteflika contre les terroristes

Al-Qaïda vient de le démontrer : elle a les moyens de lancer de spectaculaires opérations contre les symboles du pouvoir « impie ». Mais de là à mettre le Maghreb à feu et à sang

Publié le 16 septembre 2007 Lecture : 8 minutes.

Qui a dit que la violence était en voie de disparition en Algérie ? En moins de quarante-huit heures, deux terribles attentats-suicides ont mis à mal ce bel optimisme. Le 6 septembre, à Batna, un jeune homme a tenté d’assassiner le chef de l’État en faisant exploser une bombe au milieu de la foule massée sur son passage (voir J.A. n° 2435). Deux jours plus tard, une camionnette conduite par un adolescent et bourrée de 800 kg d’explosifs a réduit en poussière une caserne de gardes-côtes dans le port de Dellys. Bilan des deux opérations : une bonne cinquantaine de victimes, d’innombrables blessés et une opinion gravement traumatisée. L’Algérie est-elle en train de replonger dans le cauchemar du terrorisme islamiste ? C’est à cette question – et à quelques autres – que nous nous efforçons de répondre.

1. Qui sont les kamikazes ?
Dellys, le 8 septembre. Il est 7 h 45 quand le camion frigorifique qui, chaque matin, livre des produits laitiers s’apprête à pénétrer dans la caserne de gardes-côtes, une dizaine de chalets sont cantonnés une centaine d’hommes. Soudain, une camionnette surgie de nulle part force la barrière et fonce sur sahat el-Alam, la place d’armes où se déroule la traditionnelle cérémonie de lever des couleurs. L’explosion est terrible, les constructions alentour sont littéralement soufflées.
Le kamikaze se nomme Nabil Belkacemi, il avait 15 ans. Collégien modèle à Bourouba, une banlieue populaire à l’est d’Alger, il avait disparu du domicile familial quelques jours après l’attentat-suicide qui, le 11 avril, avait visé le Palais du gouvernement.
Accablés de douleur, ses parents ont demandé pardon aux familles des victimes, avant de se murer dans le silence. Mais ses voisins se sont montrés plus diserts. « Rien ne laissait supposer que Nabil puisse commettre un acte pareil, raconte un parent d’élève du collège qu’il fréquentait. Je le citais souvent en exemple tant il paraissait gentil, prévenant, pas du tout violent. » Pourtant, depuis le début de l’année, ses camarades avaient noté un changement d’attitude. Il évoquait de plus en plus fréquemment l’injustice que subissent les musulmans d’Irak. « Les images de l’exécution de Saddam Hussein le hantaient », se souvient un jeune du quartier.
Cela explique sans doute le choix de son nom de guerre : Abou Moussab Zarqaoui el-Acimi, le « Zarqaoui de l’Algérois ». Pour ses anciens amis, il ne fait aucun doute que Nabil Belkacemi avait décidé de rejoindre la résistance irakienne. Et que les recruteurs d’Al-Qaïda au Maghreb l’en ont dissuadé pour l’utiliser à d’autres fins. Selon les services de sécurité, l’organisation terroriste disposerait en Algérie d’une trentaine de jeunes candidats au suicide. Parmi ces derniers, Abdelqahar Benhadj, le fils de l’ex-numéro deux du Front islamique du salut (FIS). Qu’ils soient ou non en exil, les membres du parti islamiste dissous en 1992 se sont curieusement abstenus de toute réaction après les attentats de Batna et de Dellys.
Nabil est né en 1992, l’année où l’interruption du processus électoral priva le FIS d’une victoire éclatante aux législatives. Ses motivations n’ont donc pas grand-chose à voir avec celles des vétérans du Groupe salafiste pour la prédication et le combat, devenu Al-Qaïda au Maghreb en septembre 2006, qui sont pour la plupart d’anciens cadres politiques du FIS. N’étant pas issu d’un milieu défavorisé, il n’habitait pas un bidonville et n’était donc pas prédisposé au pire. Il a pourtant été accueilli dans les maquis, endoctriné, puis transformé en bombe humaine

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2. Quelle est la capacité ?de nuisance d’Al-Qaïda ?
Elle est considérable, et pas seulement en Algérie, bien que le savoir-faire des djihadistes locaux soit bien supérieur à celui de leurs « confrères » marocains, tunisiens, mauritaniens, libyens et subsahariens (lire encadré). Parmi les aspirants kamikazes formés dans les maquis de Kabylie, dans l’Adrar des Ifogha (à la frontière algéro-malienne) ou la région d’el-Oued, aux confins tunisiens et libyens, les services algériens ont recensé une demi-douzaine de ressortissants d’autres pays maghrébins. Ces derniers avaient-ils choisi de mener la guerre sainte en Algérie, attendaient-ils d’être envoyés en Irak ou se préparaient-ils à mener des attaques-suicides dans leurs pays respectifs ? Difficile à dire.
Quoi qu’en pensent certains experts du terrorisme, il est très peu probable que la situation sécuritaire se dégrade au point de redevenir ce qu’elle était dans les années 1990, quand deux cent mille militaires, gendarmes et policiers faisaient face à une armée de l’ombre composée de vingt-cinq mille maquisards particulièrement déterminés et sanguinaires. Rien de tel aujourd’hui : l’Algérie n’est pas l’Irak !
Reste qu’à l’inverse des milliers de combattants qui ont déposé les armes entre 2000 et 2006, le noyau dur des jihadistes d’Al-Qaïda au Maghreb rejette farouchement la paix des braves – ou plutôt la « réconciliation nationale » – proposée par le président Abdelaziz Bouteflika. Ces irréductibles ne sont pas plus de quelques centaines, retranchés pour la plupart dans le massif du Djurdjura, en Kabylie. Le recours aux attentats-suicides est la conséquence directe du ralliement de l’ex-GSPC à la nébuleuse Al-Qaïda, dont il a adopté les techniques de guérilla, rodées en Afghanistan et en Irak.
L’opération kamikaze d’Abou Mokdad el-Wahrani, de son vrai nom Bellazrak Houari, à Batna ne devrait pas rester sans conséquences sur les dispositifs mis en place pour protéger les chefs d’État maghrébins lors de leurs déplacements. Car, en l’occurrence, Al-Qaïda au Maghreb n’a fait qu’appliquer les instructions de l’Égyptien Aymen Zawahiri, le bras droit d’Oussama Ben Laden, qui a plusieurs fois demandé à ses partisans de s’en prendre aux dirigeants arabes, considérés comme des suppôts des Croisés américains. Pour tous les dirigeants maghrébins, l’attentat manqué contre Bouteflika est un avertissement sans frais. Al-Qaïda n’a sûrement pas les moyens d’embraser la région, mais elle est parfaitement capable de monter des opérations spectaculaires contre les symboles de pouvoirs honnis.

3. Les services de sécurité maghrébins coopèrent-ils efficacement ?
Après Batna, Bouteflika a reçu de Mohammed VI un message de condoléances. Le roi du Maroc a profité de l’occasion pour appeler à une amélioration de la coordination entre les services de sécurité de la région. Il l’avait déjà fait après l’attaque-suicide du 11 juillet, à Lakhdaria. Est-ce à dire que la concertation est défaillante ?
Les Algériens affectent de ne pas comprendre. À les en croire, les échanges de renseignements dans le cadre de la lutte antiterroriste sont efficaces. « Ils ont permis d’annihiler plusieurs projets d’attentats, en Algérie et au Maroc, tranche un général. La coopération n’est pas plus intense avec les Tunisiens. Pourtant, ces derniers ne trouvent rien à redire. »
À Rabat, si l’on reconnaît volontiers une nette intensification des échanges, on estime qu’il y a rétention d’informations de la part des « collègues » algériens. Les Marocains assurent ne pas être les seuls à se plaindre de cette situation et que « Français et Espagnols font le même constat ».
Yazid Zerhouni, le ministre de l’Intérieur, qui est le grand patron de la lutte contre Al-Qaïda, jure que ses hommes transmettent automatiquement à leurs collègues toute information concernant la sécurité des pays voisins, en cas de menace identifiée. Le contentieux politique (à propos du Sahara occidental) influe-t-il négativement sur la coopération sécuritaire algéro-marocaine ? « Pas de notre côté, plaide Zerhouni. Nous savons que la stabilité de nos voisins conditionne la nôtre. »

4. Les attentats nuisent-ils à la croissance économique ?
Au plus fort de l’insurrection islamiste, jamais les GIA et le GSPC n’avaient réussi à paralyser l’exploitation pétrolière, qui fournit 96 % des exportations et 60 % des recettes fiscales du pays. Après l’attentat manqué contre lui, Bouteflika n’a rien changé au programme de sa visite de travail. Comme si de rien n’était, il a inauguré divers projets économiques d’importance pour les Aurès. Son message était clair : « aujourd’hui comme hier, pas question de céder à l’intimidation ». Il est très improbable que les attaques kamikazes remettent en question les grands chantiers qui se multiplient dans tout le pays, de même que les privatisations en cours. Elles ne devraient même pas dissuader les investisseurs étrangers. Les chancelleries accréditées à Alger s’accordent à affirmer que le terrorisme islamiste n’est plus en mesure de faire basculer le pays et ses institutions dans le chaos.

5. Comment les forces de sécurité s’adaptent-elles aux attentats-suicides ?
« Face à un kamikaze, aucun dispositif policier ne peut garantir le risque zéro », rappelle un officier supérieur. Certes, mais la célérité de l’enquête sur les attentats du 11 avril (reconstitution de l’itinéraire des kamikazes, identification puis élimination du « cerveau » de l’opération et du fabricant des engins explosifs) témoigne de l’efficacité des services de sécurité. De même, quelques heures après l’attentat de Batna, le kamikaze a été identifié grâce à l’analyse de l’ADN prélevé sur son corps déchiqueté. Après l’identification des aspirants kamikazes d’Al-Qaïda au Maghreb, des prélèvements d’ADN ont été réalisés sur leurs proches. Cette banque de données a permis d’accélérer l’identification des tueurs de Batna et de Dellys. Mais son utilité semble relative dans la prévention d’éventuelles opérations-suicides. Les Algériens vont devoir réapprendre à vivre sous la menace. Mauvaise nouvelle à la veille du ramadan, les terroristes se montrant souvent très actifs pendant le mois sacré des musulmans.

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6. Quelles conséquences sur l’action de Bouteflika ?
La faiblesse de la mobilisation populaire lors des meetings contre le terrorisme organisés, le 9 septembre, à l’appel de la société civile ne signifie nullement que la popularité de Bouteflika soit en baisse. En revanche, elle confirme le complet décalage entre la classe politique et l’opinion. Dans le concert des réactions qui ont suivi l’attentat de Batna, les islamistes du Mouvement de la société pour la paix (MSP, ex-Hamas), pourtant membre de l’Alliance présidentielle, se sont signalés par leur discrétion. Et les partis dits démocratiques, par leur silence assourdissant. La disparition brutale du chef de l’État aurait pourtant été une véritable catastrophe et se serait traduite par la mise en place d’une transition politique à haut risque.
Autre conséquence, plus inattendue : l’attentat de Batna a fait resurgir la question de l’éventuel troisième mandat de Bouteflika. Aux termes de la Constitution, le président n’a pas le droit de se représenter en 2009. À partir de juin 2005, le FLN a activement milité en faveur d’une révision. Par la suite, la revendication a semblé disparaître de l’agenda et du débat politiques. Mais quand, après le drame, le chef de l’État a parcouru à pied les rues de la capitale des Aurès, il a été acclamé par la foule aux cris de « Ouhda Thalitha ». Autrement dit, « troisième mandat » !

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