Le Maghreb des contestataires

De Nass el-Ghiwane à Amazigh, en passant par Maâtoub Lounès, la région a toujours eu son lot de chanteurs rebelles. Revue de détail.

Publié le 16 juillet 2006 Lecture : 3 minutes.

« Pointés sur Bagdad et sur le Sud-Liban / Dans ce Moyen-Orient tous les chars sont latents / Latents les attentats du Hamas et du Hezbollah / Et moi j’attends la Palestine depuis cinquante ans ! » Le public casablancais, en transe, reprend en chur le couplet. Ils sont près de 3 000 ce 29 juin 2006 devant l’Institut français à ovationner Gnawa Diffusion et son leader Amazigh Kateb, digne descendant de l’homme de lettres algérien, feu Kateb Yacine. De son père, le jeune chanteur a hérité le charisme et la verve. « Charlatown », « Bab el-Oued Kingston », « Déca-dance » et sa version « Benla-dance » les tubes de son groupe franco-métissé font un tabac de Marseille à Oran et de Casa à Tunis. En cet été 2006, ils entament pour la première fois une grande tournée dans tout ce Maghreb où leur renommée – et leurs albums amoureusement piratés – les a depuis longtemps précédés. Après Casablanca, Fès, Meknès, Marrakech et Tanger, ce sera Alger le 20 juillet, Hammamet le 8 août et Sousse le 9 août.
Les émeutes en Kabylie, l’occupation américaine en Irak, l’immigration en France ou l’Intifada en Palestine Le chômage des jeunes, les bavures policières, la corruption, ou l’obscurantisme Les thèmes qu’ils chantent – en français ou en algérien – trouvent un large écho auprès des jeunes générations d’une rive à l’autre de la Méditerranée. Un public conquis par une liberté de ton teintée d’humour inédite. Pourtant, leurs parents, et, avant, leurs grands-parents, ont eux aussi été subjugués par quelques figures emblématiques et emportés par quelques courants dissidents de la protest-song d’Afrique du Nord.
Sous la colonisation, nombreux ont été les artistes – des plus populaires aux plus classiques – à verser dans la chanson résistante. Des divas telles que l’Algérienne Warda ou l’Égyptienne Oum Kalsoum s’étaient distinguées par certains morceaux patriotiques, perçus par les occupants comme de réelles provocations. Dans un tout autre style, de nombreuses chikhate – des chanteuses populaires – se sont illustrées par des textes aux accents indépendantistes. La « mama » du raï, feu Cheikha Rimitti, avait surpris son monde avec son ode à l’émir Abdelkader. Et, chez le voisin marocain, c’est la sulfureuse Hajja Hamdaouia qui – entre deux chansons « olé-olé » – avait fait un tube avant l’heure en 1953 avec son « Waili Achibani » (« Allons, vieux chnoque ! »), caricature du sultan « fantoche » Ben Arafa. Ce qui lui valut un bref passage dans les geôles coloniales.
Avec l’euphorie post-indépendances, toute cette ferveur contestataire s’est quelque peu tiédie. « Après la colonisation, les artistes étaient plus enclins à chanter l’amour ou le mal du pays, explique le journaliste et critique musical algérien Rabah Mezouane. La seule exception est la chanson kabyle qui, dès les années 1960, s’est faite militante avec l’une de ses premières figures, le chanteur Slimane Azzem. » Un mouvement qui perdurera des années durant à travers d’autres artistes emblématiques, comme le chanteur Maâtoub Lounès, assassiné en 1998, ou, dans un tout autre registre, le « Renaud algérien », Baâziz.
Ce n’est qu’à l’aube des années 1970 que va naître une véritable chanson engagée, avec l’apparition à Casablanca d’un jeune groupe qui se démarque des crooners romantiques de l’époque. Ils se font appeler Nass el-Ghiwane, « ghiwane signifiant à la fois amour des hommes, liberté, égalité et donc répulsion envers la répression », explique le musicologue marocain Ahmed Aydoun. Moins politiques que sociaux, leurs textes pacifistes feront un tabac dans tout le Maghreb et inspireront d’autres groupes à tendance « ghiwani » au Maroc, comme les Amazighs Izenzaren et Ousman, ainsi qu’en Algérie et en Tunisie.
Autre pays, autre figure marquante : celle, en Égypte, du Cheikh Imam et de son parolier Ahmed Fouad Negm, dont les chansons acerbes ont marqué une génération entière dans tout le monde arabe des années 1970 à 1980. Années pourtant marquées un peu partout par un « vide idéologique » laissant la place à la variété. Car ce n’est que dans les années 1990, avec l’apparition des premiers groupes de rap maghrébin, que réapparaissent peu à peu quelques « groupes engagés ». D’abord, en Algérie, avec MBS et Intik, puis petit à petit chez les voisins marocain et tunisien. Mais, à quelques exceptions près, il s’agit d’un « hip-hop citoyen » plus que contestataire, à l’image de ce rap patriote du groupe Marrakchi Fnaïres qui, au lendemain des attentats de Casablanca en mai 2003, a ému le royaume avec le titre « Ne touche pas à mon pays ! »

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires