« Il faut trouver le juste milieu entre le festif et le méditatif »

Publié le 16 juillet 2006 Lecture : 4 minutes.

En quatorze ans d’existence et huit albums produits – bientôt neuf avec le best-of live prévu en septembre 2006 -, le groupe Gnawa Diffusion et son leader Amazigh Kateb, 34 ans, ont conquis un vaste public de fans de part et d’autre de la Méditerranée. Le secret de leur succès : des paroles qui dérangent sur une musique qui déménage !

Jeune Afrique : Votre dernier album sorti en 2003 est nettement plus « militant » que les précédents. Pourquoi ce changement ?
Amazigh Kateb : Avant l’album Souk System, notre discours et nos chansons tournaient essentiellement autour de l’Algérie, de l’africanité, de l’arabité Des sujets qui avaient trait à notre identité et à notre histoire. Je ne crois pas que nous ayons radicalement changé de but, qui est de jouer de la musique, mais il se trouve que l’album a été composé entre le 11 septembre 2001 et l’entrée des Américains en Irak en 2003. C’est donc le contexte international qui a fait de Souk System ce qu’il est.
Acceptez-vous l’appellation d’« artiste engagé » ?
Je ne souhaite pas trop me positionner comme tel parce que j’ai vu le piège que ça peut représenter. Des artistes militants des années 1960 à 1980, on a plus retenu le discours que la musique. J’ai peur de ce terme comme j’ai peur de tous les termes génériques utilisés pour catégoriser les musiques afin de mieux les vendre. Ce n’est pas comme cela que la musique se décline, elle est beaucoup plus vaste et finalement beaucoup plus simple. J’ai du mal par exemple à dissocier l’énergie de la fête et le bonheur de se rassembler autour d’une idée.
Après la sortie de Souk System, vous avez longtemps été absents des scènes françaises. À quoi était-ce dû ?
Peut-être y a-t-il eu boycottage, mais il ne s’est jamais déclaré. C’est vrai qu’il y a eu une levée de boucliers en France, à cause de la chanson « Charlatown », qui parle de la Palestine. Certaines rumeurs m’ont traité d’antisémite, de fasciste arabe Je pense notamment à un article du Nouvel Observateur disant que, s’il était encore vivant, mon père [l’écrivain Kateb Yacine] aurait honte de moi ! Je n’ai pas à me défendre d’être antisémite : je suis toujours pour l’indépendance de la Palestine, pour la fraternité des peuples, et contre cette exacerbation des radicalismes et des fondamentalismes religieux qui se déchaînent aujourd’hui de part et d’autre.
Si ces attaques sont parfois difficiles à encaisser, ce n’est finalement pas très différent de ce qu’on subit en Algérie. Je ne compte plus le nombre de fois où nos concerts ont été annulés. Généralement, on veut mettre ça sur le compte du hasard, ou de la chaotique « algérianité », sans jamais admettre les véritables raisons.
Cela a l’air d’aller mieux. Vous êtes en tournée dans tout le Maghreb, et vous jouez le 20 juillet à Alger
Pour l’instant, la date est maintenue, mais rien n’est joué, car, à chaque fois que l’un de nos concerts a été annulé, c’était à la dernière minute.
Quand vous donnez des concerts en Algérie, vous demande-t-on des versions « light » de vos chansons ?
Non. C’est précisément parce qu’ils ne peuvent pas nous le demander qu’ils agissent de la sorte. Ils essayent de nous décourager, de nous faire croire que c’est très compliqué de jouer dans ce pays. Mais, bon, c’est de bonne guerre. On ne peut pas attaquer le pouvoir et lui demander d’être bienveillant
Vous-même, avez-vous été influencé par certains artistes engagés ?
Le premier a été le Cheikh Imam, qui a beaucoup marqué mon enfance. Je devais avoir 13 ans quand je suis allé le voir à Tizi-Ouzou. Aujourd’hui encore, je connais ses chansons par cur. Plus récemment, un autre artiste m’a impressionné, c’est le fils de la chanteuse libanaise Faïrouz, Zyad Rahbani. De tous, il est celui dont je me sens le plus proche, car même si son discours est politique, c’est toujours sur le ton de la plaisanterie et dans le langage de la rue.
Mais il y a également tout un répertoire de musique populaire engagée qui n’a pas d’auteur : ce sont toutes ces chansons qu’on chante entre nous, en Algérie, et que chacun recompose comme il veut. C’est une musique forgée dans le feu de l’actualité, dans le mouvement du quotidien. Exemple, il y a un morceau qu’on joue actuellement sur scène et qui sera dans le prochain album prévu en 2007. Il s’appelle « Votiw madamat ! » (« Votez pour les femmes ! »). Cette chanson a été conçue non pas contre le pouvoir – même si elle en parle de manière critique -, mais pour une présidence féminine en Algérie.
Depuis une vingtaine d’années, on ne peut pas dire qu’il y ait eu de nouvelles figures de la musique arabe engagée. Comment l’expliquez-vous ?
Je pense qu’aujourd’hui les énergies se sont quelque peu dispersées. L’Algérie, par exemple, sort de longues années de terrorisme, et la page n’est pas tout à fait tournée. Certains artistes, engagés ou pseudo-engagés, ont beaucoup critiqué le raï et les chansons festives. Mais heureusement qu’il y avait des chanteurs pour faire danser les gens et leur faire oublier leur misère. Nous ne sommes pas des politiciens. Il faut seulement tâcher de trouver un juste milieu entre le festif et le méditatif, entre le détachement et l’engagement.

la suite après cette publicité

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires