Le nerf du conflit

Publié le 16 avril 2006 Lecture : 3 minutes.

C’est quand le pétrole commence à rapporter gros que les choses se gâtent : 280 millions de dollars en 2005, contre 146 millions en 2003-2004. Au total, le Tchad a perçu 426,2 millions depuis le départ du premier tanker le 3 octobre 2003 jusqu’au 31 décembre 2005, selon les comptes rendus publics par la Banque mondiale. Cette somme se répartit entre royalties (398,9 millions de dollars), primes (22 millions), taxes (4,1), intérêts et dividendes (1,2).
On ne connaît pas directement le prix du pétrole tchadien, mais on peut le calculer sur la base des quantités vendues (133,2 millions de barils) et des royalties versées au gouvernement tchadien : il en ressort un prix moyen de 24 dollars le baril pour la période 2003-2005 (après déduction du coût de transport par oléoduc de Doba au terminal de Kribi, au Cameroun). Pour la seule année 2005, le prix moyen est de 33,40 dollars.
La décote par rapport au prix mondial est donc de l’ordre de 10 à 15 dollars par baril. Ce qui représente un écart très important. Trop, sans doute, pour mériter une explication précise de la part du consortium Esso Exploration and Production Chad Inc. Ce consortium, qui se défend d’être transparent, est dirigé par la compagnie américaine ExxonMobil (anciennement Esso), qui détient 40 % des parts. Le reste est détenu par une autre société américaine, Chevron Texaco (25 %), et une société malaisienne, Petronas (35 %). L’État tchadien ne détient donc aucune part dans le consortium. Il dispose seulement d’une participation symbolique dans l’oléoduc.
En échange de cet abandon de la production, qui résulte de l’incapacité du pays à prendre part aux investissements initiaux (3,7 milliards de dollars), l’État tchadien perçoit une royaltie de 12,5 % sur le produit net de la vente de son pétrole (prix rendu à Kribi). À cela s’ajoutent des taxes, intérêts et dividendes sur les entreprises exploitantes. Mais la concession majeure du gouvernement tchadien, trop pressé de mettre en exploitation le bassin de Doba, réside dans le contrôle des recettes pétrolières. Pour investir dans un pays instable, le consortium avait besoin du parapluie « Banque mondiale ». Celle-ci a donc contribué au financement de l’investissement. Une contribution minime (3 %), mais qui lui a permis d’imposer son diktat à Idriss Déby Itno : tout l’argent ira sur des comptes à Londres, le temps d’être redistribué selon une clé de répartition imposée également par la Banque. Dix pour cent des recettes iront à un compte pour les générations futures (dont le déblocage est prévu après la fin de l’ère pétrolière), 72 % pour des projets prioritaires de lutte contre la pauvreté (santé, éducation, infrastructures), 4,5 % pour des projets similaires ciblés sur la région productrice et seulement 13,5 % au gouvernement tchadien, qui l’utilisera comme il l’entend.
Cet accord a été dûment confirmé par une loi en 1999. Mais ce que la Banque mondiale n’a pas prévu, c’est que la loi pouvait être changée, qui plus est par un régime assoiffé d’argent, notamment pour financer ses dépenses de sécurité. C’est ce qui a été fait fin décembre 2005 : la nouvelle loi supprime le compte pour les générations futures, accroît la part qui revient librement au gouvernement (30 %), intègre les dépenses sécuritaires dans les projets prioritaires (65 %) et maintient la part de la région productrice (5 %).
Dès l’entrée en vigueur de la loi, les fonds pour les générations futures sont passés sur un compte bancaire ouvert par le gouvernement Déby Itno : 36,2 millions de dollars y ont été virés le 20 janvier 2006. Un pactole suffisant pour financer les achats d’armes et résister à la rébellion.

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