Le décompte des corps
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Edem crée des personnages désincarnés, un peu comme des ombres dans un théâtre de l’absurde, quelque chose qui rappelle l’univers dramaturgique et romanesque de Kossi Efoui, dont l’influence est manifeste sur le jeune auteur. Grâce à cette désincarnation, il place les mots au ras de la violence, car il s’agit de violence ici, son principal alibi esthétique. Le livre prend des allures d’allégorie. Le récit éclaté nous fait tanguer, nous embarque à son bord pour un voyage sur des eaux glauques, entre le réel et l’hallucination. On se retrouve dans une atmosphère suffocante, à l’intérieur d’une infatigable machine à fabriquer des cadavres.
En réalité, tous les ingrédients de ce roman étaient déjà en place dans deux nouvelles de l’auteur : Les Bottes du soleil et Le Regard acier, chacune primée. Dans la première nouvelle, Mamie Luna cire les bottes de son homme jamais revenu de la guerre. Mamie Luna devient Mère Cori dans le roman. Et Mano, dans Le Regard acier, deviendra Manuel, et déjà le wharf joue son rôle symbolique, le lieu de l’errance, là où les frontières entre le réel et l’hallucination, entre la vie et la mort disparaissent ou se transforment en un brouillard translucide. La plume d’Edem dégage déjà une telle assurance, une telle maturité, que l’on peut la dire décidée à s’inscrire dans la durée. Elle y parviendra. C’est tout le mal que je souhaite à ce jeune frère des mots.
Port-Mélo, d’Edem, Gallimard, Paris, 2005, 186 pages, 14 euros.
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