Vol AF 896

Publié le 16 mars 2008 Lecture : 2 minutes.

Pour les habitués des voyages aériens sur l’Afrique au départ de Paris, la scène est devenue presque ordinaire. Mais pour ceux qui, à l’instar de notre collaborateur Vincent Fournier et de moi-même, l’ont vécue ce jour-là, elle a quelque chose de symbolique dans sa banalité. Vendredi 7 mars au matin, vol Air France 896 pour Brazzaville, aéroport de Roissy. Au fond de la cabine de l’Airbus, rangée 48, un drap blanc recouvre les sièges. Jambes et poignets sanglés, un masque noué sur la bouche, un Congolais d’une trentaine d’années est assis là, les yeux exorbités, encadré par trois policiers français. Un expulsé, un « reconduit chez lui » comme on le dit dans le langage soft en vogue au ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale, un numéro de plus sur la liste du quota à atteindre : 25 000 en 2007, 26 000 cette année. « Au secours ! Je vais mourir ! » : répété dix fois, vingt fois, le cri étouffé par le bâillon et la main des accompagnateurs finit par remplir toute la cabine. Conscient du malaise qui gagne les passagers et manifestement briefé pour faire face à ce type de situation, un policier tente d’expliquer : « Ce n’est pas qu’une histoire de papiers. Ce type a eu affaire à la justice. C’est un délinquant. » Puis il ajoute : « Ne vous inquiétez pas : c’est toujours comme ça ; après le décollage, ils se calment. » C’est effectivement le cas. Une fois l’appareil en altitude de croisière, l’homme cesse de hurler. On lui retire son masque, on dénoue les sangles, il est comme figé, entre torpeur et terreur. Vient alors l’acte II, le temps de la fraternité. Un vieux Congolais se lève et s’approche de lui :
« D’où es-tu ?
– De Pointe-Noire.
– Qui t’attend au pays ?
– Personne ; je n’ai rien, pas de bagages, juste ce que je porte sur moi et 30 euros dans ma poche.
– C’est bien, on va t’aider. »
Aussitôt, une collecte s’organise parmi les passagers africains. Résultat : 400 euros, soit 250 000 F CFA. De quoi éviter un peu de la honte du retour les mains vides. Un entrepreneur tend même sa carte de visite : « Je peux te fournir du travail, appelle-moi »
La nuit est tombée quand l’avion se pose sur la piste de Maya-Maya. Rangée 48, l’homme se lève, tête basse. Il dit « merci » avant de descendre, le dernier, l’échelle de coupée. Lui seul sait ce qu’il lui a fallu de volonté et d’ingéniosité pour se rendre en France, quels rêves son expulsion a brisés et quand il décidera de tenter à nouveau sa chance. Dans l’entretien que nous avons réalisé avec lui cette semaine, le patron du FMI Dominique Strauss-Kahn parle de l’absolue nécessité de « contenir les flux migratoires » (voir pp. 72-74). Pour l’instant, la seule réponse que la France, l’Europe et les technocrates de Bretton Woods aient trouvée à ce défi majeur tient en deux lettres et trois chiffres : AF 896.

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