La pompe est amorcée

Publié le 16 mars 2008 Lecture : 5 minutes.

Voici une bonne nouvelle pour le continent africain, et plus particulièrement pour sa partie subsaharienne, celle-là même qui paraissait avoir égaré la clef qui ouvre la porte du progrès économique.
L’Afrique subsaharienne, c’est, aujourd’hui, rappelons-le, 760 millions de personnes, jeunes en majorité – l’âge moyen le plus bas du monde -, qui seront près de 2 milliards en 2050, passant ainsi de 12 % à 19 % de la population mondiale.
Simple rattrapage démographique d’ailleurs, car cette partie du monde a connu, à partir du XVIe siècle, deux chocs majeurs : l’esclavage et la colonisation. C’est pourquoi, pendant près de quatre siècles, sa population n’a pas augmenté alors que celle du reste du monde était multipliée par trois et demi en moyenne1.

Quelques années après la fin de la période coloniale, l’Europe, qui avait colonisé et exploité la plupart des quarante-sept futurs États de l’Afrique subsaharienne et peuplé certains d’entre eux, s’en est détournée sans aucun état d’âme : elle a trouvé ailleurs des vallées plus verdoyantes
Quant à l’Amérique, bien qu’une partie non négligeable de sa population (environ 12 %) soit originaire de cette Afrique subsaharienne, elle n’y a jamais prêté qu’un faible et lointain intérêt.
C’est ainsi qu’à la fin du siècle dernier cette Afrique subsaharienne s’est retrouvée livrée à elle-même et à la pauvreté, en tout cas sans partenaires dignes de ce nom. On soulignait alors qu’elle comptait 300 millions de pauvres et ne représentait que 1 % du commerce mondial. On disait qu’elle était, d’une certaine manière, sortie de l’Histoire

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La bonne nouvelle est que cette Afrique a achevé sa « traversée du désert » et cessé d’être « le Kleenex qu’on jette après usage ».
À partir de 1990 et plus encore depuis le début du XXIe siècle, elle est devenue, pour la Chine et l’Inde – les deux pays les plus peuplés de la planète, soit 40 % de la population mondiale, en pleine renaissance -, « une route moderne de la soie » et « une nouvelle frontière économique ».
C’est, en tout cas, ce que démontre Harry G. Broadman, économiste à la Banque mondiale, dans un livre publié fin 2007, en anglais, sous un titre parfaitement explicite2.
Harry G. Broadman fonde sa démonstration sur les cinq facteurs ci-dessous.

1) Les exportations de cette partie de l’Afrique en Chine, très faibles au départ, ont commencé à augmenter au rythme de 15 % à 20 % l’an à partir de 1990. Entre 2000 et 2005, cette augmentation a atteint le rythme annuel époustouflant de 48 %. Soit deux fois et demie plus vite que les exportations de la région vers les États-Unis et quatre fois plus vite que celles en direction de l’Union européenne !
La Chine et l’Inde d’une part, l’Afrique subsaharienne d’autre part ont peu à peu découvert qu’elles étaient complémentaires sur le plan économique et que cette complémentarité n’était pas de circonstance.
Au fur et à mesure que se constitue chez elles une classe moyenne de plus en plus nombreuse, la Chine et l’Inde importent d’Afrique, outre le pétrole et les matières premières, des produits agricoles comme le coton (parfois prétissé).

2) Les investissements de la Chine et de l’Inde en Afrique subsaharienne sont de plus en plus importants et se comptent désormais en milliards de dollars.
La diaspora indienne a créé et contrôle des centaines d’entreprises dans beaucoup de pays africains, tandis que, de leur côté, l’Export-Import Bank of China ainsi que la China’s Development Bank ont multiplié les garanties et les crédits : de 800 millions de dollars à la fin de 2005, ils passeront, en moins de quatre ans, à plus de 10 milliards de dollars, dans le cadre d’une directive intitulée China Africa Policy élaborée en 2006.
3) À la même date, la Chine a commencé à supprimer ses droits de douane sur plusieurs centaines de produits africains. Encore que, sur ce plan, du côté africain comme de celui des deux puissances asiatiques, beaucoup, peut-être l’essentiel, reste à faire.

4) La progression rapide de l’activité de la Chine et de l’Inde en Afrique offre aux économies du continent une occasion exceptionnelle de se dégager d’une dépendance excessive à l’égard de quelques matières premières et de se tourner vers une production plus intensive d’articles manufacturés à forte utilisation de main-d’uvre ainsi que vers les services.
Cette évolution pourrait également aider les entreprises africaines à être plus efficaces en les ouvrant à davantage de concurrence, à des progrès technologiques et à une main-d’uvre moderne.

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5) Après des années de croissance économique en dents de scie, de nombreux pays africains semblent aujourd’hui progresser à une allure régulière. Dans la dernière décennie, l’Afrique a connu un taux de croissance moyen de 5,4 %, comparable à celui du reste du monde.
Le spectaculaire accroissement des échanges commerciaux intervenu récemment entre l’Afrique et les pays émergents d’Asie – la Chine et l’Inde – est une contribution majeure à cette croissance.
Les dirigeants africains doivent profiter des possibilités ouvertes par l’intérêt commercial de la Chine et de l’Inde pour le continent en poursuivant des réformes audacieuses qui sont dans l’intérêt de l’Afrique.

Ici s’achève la démonstration de l’auteur de Africa’s Silk Road. Son mérite est d’avoir mis en lumière « une évolution géostratégique de très grande ampleur » :
– l’Afrique a cessé d’être seulement le parent pauvre ou un appendice de l’Europe ;
– à ce Nord-Sud qui avait (presque) cessé de fonctionner a succédé entre l’Afrique et l’Asie un Est-Ouest ou, si l’on préfère, un Sud-Sud prometteur.

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Depuis 1990 et plus nettement encore depuis le début du XXIe siècle, la Chine et l’Inde ont donc redécouvert ce continent dédaigné et délaissé. Elles y attireront, elles attirent déjà, d’autres grands pays en renaissance comme le Brésil et la Russie.
Ces néopartenaires de l’Afrique remplacent (avantageusement ?) ceux qui sont partis (et qui, l’avenir nous le dira, reviendront peut-être).
Mais Harry G. Broadman le souligne dans son livre : les uns et les autres ne peuvent qu’amorcer la pompe, donner le départ. C’est aux Africains qu’il revient de faire l’essentiel s’ils veulent entrer, à leur tour, dans un vrai cycle de renaissance.
Il leur faut une bien meilleure gouvernance et, d’extrême urgence, en préalable à tout, se mettre à reconstruire leur système éducatif.
Souvenez-vous de l’observation de Bill Gates : « Il y a une corrélation évidente entre la santé économique d’un pays et le rang mondial de ses universités L’éducation est la clef qui ouvre la porte de la réussite ! »

1. Pendant cette période, la population de la Chine et celle de l’Europe, où la fécondité était la plus élevée, ont été multipliées, elles, par cinq.
2. Africa’s Silk Road : China and India’s New Economic Frontier (World Bank).

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