La paix au forceps

Publié le 16 mars 2008 Lecture : 3 minutes.

C’est au son de « Jaamu Africa » (« la paix de l’Afrique », en wolof), la chanson d’Ismaël Lô, que s’est achevée la lecture par Cheikh Tidiane Gadio, le ministre sénégalais des Affaires étrangères, de l’accord de paix signé à Dakar le 13 mars au soir par Idriss Déby Itno et Omar Hassan el-Béchir, les présidents tchadien et soudanais. Censé « mettre définitivement fin » au différend entre leurs deux pays, ce document met en place un groupe de contact composé de ministres africains des Affaires étrangères. Ledit comité est chargé de faire chaque mois le point sur l’exécution par chacune des parties de ses obligations. Et de désigner les auteurs d’éventuelles infractions. Accouché au forceps, l’accord de Dakar a bien failli ne jamais voir le jour.
La veille, alors que ses collègues sénégalais (Abdoulaye Wade), gabonais (Omar Bongo Ondimba) et tchadien l’attendaient au palais de l’avenue Léopold-Sédar-Senghor en compagnie de Ban Ki-moon, le secrétaire général des Nations unies, Béchir s’était fait porter pâle : « Pardonnez-moi de ne pouvoir discuter aujourd’hui, je souffre d’atroces maux de tête »
Le lendemain, à l’issue de la cérémonie d’ouverture de la 11e session de l’Organisation de la conférence islamique (OCI), le conclave s’ouvre enfin. Et Déby Itno attaque bille en tête :
« On me signale qu’une colonne rebelle a franchi la frontière soudanaise pour violer le territoire tchadien. Veut-on saboter ce mini-sommet ?
– Je n’ai aucune information de ce type, réplique Béchir. Pour le moment, je refuse de me prononcer sur des supputations.
– Le Soudan doit arrêter de soutenir les rebelles qui s’attaquent à mon pays, tempête Déby Itno.
– Avec tout le respect que je vous dois, Monsieur le Président, vous avez des problèmes internes auxquels mon pays est totalement étranger. »
Ambiance.
Pour tenter de détendre l’atmosphère, Bongo Ondimba joue la carte de l’humour, tandis que Wade, résolu à sauver « son » sommet de l’OCI, ne ménage pas ses efforts pour rapprocher les positions des uns et des autres.
La partie n’est pas gagnée d’avance. Dans un passé récent, trois accords de paix ont été conclus, et deux « déclarations » signées, sans réussir à mettre un terme à la crise. Le dernier accord en date a été paraphé le 3 mars 2007, à Riyad, en Arabie saoudite, après que les belligérants, l’un et l’autre musulmans, eurent juré devant la Ka’aba, à La Mecque, de respecter leurs engagements. Résultat : une série d’affrontements qui faillirent coûter son fauteuil à Déby Itno, début février.
C’est que le règlement du différend se heurte à un obstacle de taille : le jeu passablement trouble de Mouammar Kadhafi. Le « Guide » libyen ne parvient pas, en effet, à trouver une solution, mais refuse de se dessaisir du dossier. Du coup, il multiplie les chausse-trapes sous les pieds de ceux qu’il considère comme des concurrents. Après avoir décidé de boycotter le sommet de Dakar, il a, jusqu’à la dernière minute, tenté de convaincre Béchir de l’imiter.
Le Tchad, qui veut sortir de son face-à-face avec la Libye, bataille ferme pour atténuer l’emprise de celle-ci sur le règlement de la crise. D’où l’enthousiasme pour l’accord de Dakar manifesté par Déby Itno, ravi d’avoir en la personne de Wade et de Bongo Ondimba de nouveaux interlocuteurs. À la mi-février, le numéro un tchadien n’a pas hésité une seconde à recevoir Ahmed Khalifa Niasse, l’ambassadeur itinérant dépêché auprès de lui par son alter ego sénégalais. Jusque dans les jours précédant le sommet, ce dernier multipliera les allers-retours entre Dakar, N’Djamena et Khartoum.
Avec l’accord de Dakar, Wade tient sa revanche sur Kadhafi, qui, dans le passé, lui a volé la vedette à deux reprises. La première fois, à l’issue du sommet de l’UA à Banjul, en juillet 2006, quand il tenta de convaincre Déby Itno et Béchir de se rendre à Dakar et que le « Guide » les détourna sur Syrte. La seconde, le 8 août 2006, lors de la prestation de serment de Déby Itno. On se souvient que Wade avait convaincu Béchir de venir à N’Djamena, mais que Kadhafi, en pleine cérémonie, avait réussi à arracher aux frères ennemis une poignée de main, puis provoqué dans la capitale tchadienne un mini-sommet qui, bien sûr, avait vidé de son sens celui que le chef de l’État sénégalais projetait d’organiser dans son pays.

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