Médecine à hauts risques

Le fléau des cliniques illégales, le trafic de médicaments et la prolifération de charlatans créent une situation sanitaire préoccupante.

Publié le 16 janvier 2005 Lecture : 4 minutes.

Signalée par une simple pancarte confectionnée de façon artisanale, cette maisonnette
située sur la route de Ramatou, dans la banlieue de Lomé, fait office de clinique. C’est là que s’est rendue Louise, une jeune fille mineure enceinte qui voulait avorter. On lui
avait dit que les employés de cet établissement étaient discrets. En tout cas, ils n’étaient pas compétents. Sous la blouse blanche uvraienten réalité une ancienne coiffeuse, une femme de ménage, un mécanicien et un infirmier Louise n’est pas ressortie vivante de cette « clinique sauvage ».
Des cas comme celui de Louise, il y en a eu des milliers au Togo ces dernières années. Pour prendre la mesure de ce phénomène, il a fallu que la ministre de la Santé, Suzanne Aho Assouma, voie de ses propres yeux une femme se vider de son sang à l’hôpital. En questionnant les médecins, elle s’est rendu compte que son cas n’était pas unique : après avoir été mal soignées dans une pseudo-clinique, des dizaines de femmes viennent chaque jour mourir dans les hôpitaux. « Quand j’ai lancé la campagne de lutte contre les cliniques sauvages, il y a un an et demi, les gens m’ont traitée de folle. Ces établissements faisant partie du paysage local, on ne comprenait pas pourquoi je voulais les supprimer », raconte la ministre. Dans la seule ville de Lomé, le ministère de la Santé en a dénombré plus de 650 !
Voilà plus de dix ans que ces cliniques opèrent parallèlement aux hôpitaux. À cela, deux explications. Tout d’abord, la crise des années 1990 qui a poussé nombre de Togolais vers
le secteur informel. Tandis que certains optent pour un service de moto-taxi ou montent leur propre boutique pour gagner leur vie, d’autres s’improvisent médecins. Les déficiences du système de santé publique ne sont pas non plus étrangères à la multiplication de ces prétendus cabinets médicaux. « Avant de m’intéresser au fléau des cliniques sauvages, j’ai cherché à assainir les hôpitaux. Les établissements étaient inhospitaliers, les patients rackettés, les malades détournés. On surnommait ces lieux les « mouroirs », explique la ministre.
En ouvrant les deux dossiers, Suzanne Aho s’est également aperçue qu’il existait des connexions entre lesdits hôpitaux publics et les cliniques illégales. « L’accueil déplorable et les longues files d’attente faisaient parfois partie d’une stratégie destinée à réorienter les patients vers des cliniques sauvages dirigées par un infirmier de l’hôpital », poursuit-elle. Certes, la consultation et l’opération y sont moins chères, mais ce rabais peut être mortel. Dans un hôpital public, un accouchement simple vaut environ 8 000 F CFA (12 euros) contre un peu plus de 5 000 F CFA dans un garage
transformé en maternité « Sans compter les complications qui interviennent à la suite des mauvais soins prodigués », complète une jeune femme victime d’un faux médecin.
Depuis Lomé, la ministre de la Santé mobilise tous les chefs de district du pays pour localiser ces établissements. Puis elle organise les premières descentes de police en 2003. Les agents sont confrontés à du personnel non qualifié, muni de fausses autorisations. Les procès pour exercice illégal de la médecine s’enchaînent. Certaines cliniques, de peur d’être démasquées, arrêtent leur activité. D’autres, tenues par des professionnels, se décident à régulariser leur situation. « On a déjà fermé une centaine de cliniques », affirme Suzanne Aho qui n’entend cependant pas se contenter de ce résultat. Le dossier morbide des cliniques sauvages a, au contraire, renforcé sa
détermination à soigner la santé des Togolais. « Actuellement, je m’attelle à la vente illicite des médicaments », indique la ministre. Et ce n’est pas une mince affaire, au vu du nombre de « pharmacies » improvisées sur le bitume, en plein soleil. « J’achète ces médicaments au Ghana », admet Myriam, qui vend des plaquettes de comprimés de paracétamol. À la question de savoir d’où provient précisément sa marchandise, elle reste muette. D’après le ministère de la Santé, il existe un véritable trafic illégal entre le Ghana, tout proche, et Lomé. Une fois encore, c’est le prix attractif de ces médicaments qui séduit la population. Sur le trottoir, deux comprimés de paracétamol se vendent 50 F CFA alors qu’il faut débourser 1 000 F CFA dans une pharmacie traditionnelle où le client est contraint d’acheter la boîte entière. Pour l’heure, l’équipe du ministère s’est
contentée d’aller dans les marchés à la rencontre des vendeurs et des consommateurs. « Nous voulons dans un premier temps discuter avec les acteurs de ce trafic de manière à ce qu’ils aient le temps de se retourner », explique Suzanne Aho. En tout cas, Myriam, la vendeuse des rues, n’a pas l’intention d’arrêter son commerce. « Comment vais-je faire pour gagner ma vie ? Et comment les gens feront-ils pour se soigner ? » demande-t-elle.
Beaucoup risquent de se détourner de la médecine conventionnelle pour consulter les tradipraticiens, très sollicités. « Ce sont des marchands d’illusions. Certains concoctent des cocktails qui peuvent s’avérer nocifs », s’insurge la ministre. Mais il n’est pas facile d’ébranler les habitudes. Les guérisseurs ont toujours été traités avec respect, et les qualifier de charlatans n’est pas bien perçu par la population. La ministre réfléchit donc à une stratégie plus adaptée. Elle a déjà organisé plusieurs rencontres avec les tradipraticiens et veut les recenser pour mieux réglementer la pratique.
Au grand marché de Lomé, ils sont nombreux à vanter les vertus de tel ou tel produit miracle avec un mégaphone. L’un d’entre eux se fait apostropher par une femme complètement
chauve : visiblement, le remède contre la chute des cheveux qu’il lui a vendu n’a pas eu l’effet souhaité ! Mais certaines escroqueries sont bien plus graves. Un charlatan a été récemment arrêté pour avoir vendu des médicaments contre le sida 45 000 F CFA, alors qu’il s’agissait en réalité de pilules de magnésium. « Les tradithérapeutes exploitent la naïveté des malades. C’est inadmissible », insiste Suzanne Aho. Reste à savoir comment la population va supporter cette cure de désintoxication.

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