Ceux qui croient à la paix… et ceux qui n’y croient pas

Publié le 16 janvier 2005 Lecture : 5 minutes.

« Petits pas », dit l’un, « signal fort », répond l’autre. Le mardi 11 janvier, Ariel Sharon, le Premier ministre israélien, a téléphoné à Mahmoud Abbas, le nouveau président de l’Autorité palestinienne. Pour le féliciter et lui souhaiter de réussir dans ses fonctions. La conversation a duré deux minutes. Les deux hommes pourraient se rencontrer prochainement. Au cours des deux prochaines semaines, croit savoir la presse israélienne. Il n’est pas douteux que de nouvelles cartes sont sur la table. Les jeux, pourtant, ne sont pas faits. On est déjà dans l’après-élection, et toujours dans l’incertitude. D’où part-on ? Qu’attendre des différents acteurs ? Voici les analyses de bons connaisseurs.

Yossi Beilin
« Le rôle des facteurs extérieurs »

la suite après cette publicité

Yossi Beilin est, en Israël, le président du parti Yuhad. Il fut l’un des principaux négociateurs des accords d’Oslo de 1993, où il avait en face de lui Mahmoud Abbas. En 2003, il a mis au point avec le Palestinien Yasser Abed Rabbo un plan de paix, les accords de Genève, dont le texte intégral a été publié par J.A.I. (n° 2238, 30 novembre
2003). Le 6 janvier, trois jours avant l’élection, il a publié dans le Los Angeles Times une tribune dont l’essentiel reste tout à fait pertinent :
« Jamais le peuple palestinien n’a eu un tel leader, ni au temps du mufti Haji Amin al-Husseini, ni à l’époque d’Ahmed Choukeiri, ni sous Arafat. L’élection d’Abbas crée pour la première fois un environnement favorable à la relance du processus de paix. Mais qu’en sera-t-il dans les faits ?
Il est encore trop tôt pour le dire. Abbas va se retrouver à la tête d’un système gravement affaibli, dont l’infrastructure a été presque totalement détruite depuis quatre
ans. Il lui faut immédiatement reconstituer et réunifier les forces de sécurité palestiniennes et trouver le moyen de mettre fin aux violences du Hamas et du Djihad islamique. Si les violences ne cessent pas, il lui sera très difficile de conduire son peuple.
On peut imposer un cessez-le- feu soit en s’attaquant de front aux extrémistes islamistes,
soit en trouvant un accord avec eux. L’accord pourrait être cher payé, car il supposera
un partage du pouvoir. La bataille pourrait être très dure, parce que la police palestinienne n’est pas autorisée par les Israéliens à utiliser des armes, et parce que l’anarchie est grande dans les territoires. Personne ne sait si les policiers obéiront au nouveau président.
Dans l’avenir immédiat, Abbas balancera entre la volonté d’aboutir à un accord qui ne soit pas trop coûteux, de son point de vue, et la lutte violente. C’est pourquoi les facteurs extérieurs joueront un rôle capital.
Plus les Palestiniens auront le sentiment que, dans un climat de paix, ils auront une vie
meilleure et que leur économie se développera en somme : qu’ils auront quelque chose à
perdre , plus ils considéreront que le retrait unilatéral de la bande de Gaza n’est que le début d’un processus de négociations entre Israël et les Palestiniens qui se conclura
par un accord durable conforme au plan Clinton, à la vision de Bush et à l’accord de
Genève. Dans ces conditions, les chances d’intégration des extrémistes augmenteront.
S’ils se confinent à un rôle d’observateurs lointains, la révolution historique qui a eu
lieu du côté palestinien n’accouchera que d’applaudissements polis saluant une avancée
démocratique marquée par l’élection d’un président prudent et responsable. Après quoi, malheureusement, l’avancée démocratique sera balayée par les extrémistes, les fanatiques, les revanchards et les violents. »

Mohamed Heykal
« Ersatz d’État »

« On va mettre Abou Mazen en demeure de signer un document qu’Arafat lui-même avait refusé de signer. Ou bien il le signera, ou bien il connaîtra le même sort que ce dernier.
» Tel est le sentiment de ce vieux routier du journalisme égyptien qu’est Mohamed
Hassanein Heykal, confié à la chaîne de télévision Al-Jazira.
Selon lui, il n’y aura plus de négociations entre Arabes et Israéliens, en raison de la position de force dans laquelle se trouvent ces derniers, du soutien qu’ils trouvent auprès de l’administration américaine, et du « coma » dans lequel est plongé le monde arabe. « Je vois des contacts, des médiations, dit Heykal. On observera une trêve, on perdra beaucoup de temps à parler, il y aura des va-et-vient, et, si les Palestiniens acceptent tout, à savoir qu’il n’y aura pas de retour des réfugiés, pas de capitale à Jérusalem-Est, pas de territoires occupés et pas de frontières, on leur accordera une Autorité nationale qui sera l’État national palestinien. » En fait, « ce sera une autorité qui n’aura pas d’au- torité, avec un État qui n’aura pas les attributs d’un État,
mais qu’on appellera un État pour faire taire ceux qui résisteraient encore. »

Claude Lanzmann
« Ariel Sharon a changé »

la suite après cette publicité

A la veille de l’élection palestinienne, le Financial Times rappelait l’interview donnée, il y a quelques mois par Dov Weisglass à un journal britannique. Le bras droit du Premier
ministre expliquait noir sur blanc que l’évacuation de Gaza avait pour objectif de consolider la mainmise israélienne sur une bonne partie de la Cisjordanie et de bloquer le processus de paix.
Sharon a-t-il changé ? Oui, répond pour sa part, dans Le Monde, le sharonien pur et dur
Claude Lanzmann : « Premier ministre depuis quatre ans, Ariel Sharon n’est plus le même. L’exercice de la responsabilité suprême l’a transformé, a profondément modifié sa vision. Cette ouverture, qui résulte tout à la fois du corps à corps avec le réel, d’un
dévoilement brutal et lumineux des possibles, de la conscience que l’extrême rareté des occasions impose des audaces décisives, est peut-être la marque des hommes d’État véritables. »
Après avoir souligné qu’ « un homme d’un prosaïque réalisme, donc d’un grand courage, s’est levé, parmi les Palestiniens, Mahmoud Abbas », Lanzmann conclut : « Les amis de la paix dont je suis doivent aider ces deux hommes. [] Il faut les croire : c’est la meilleure façon de les aider. »

Dennis Ross
« Une occasion historique à ne pas manquer »

la suite après cette publicité

Le 10 janvier, le président Bush a lui aussi téléphoné à Mahmoud Abbas pour le féliciter
et lui adresser une invitation à se rendre à Washington. Aucune date n’a été fixée. La
veille, il s’était dit prêt à « aider le peuple palestinien à réaliser ses aspirations », ajoutant que ces élections « largement libres et honnêtes » sont « la preuve que les peuples du Moyen-Orient veulent la démocratie ».
Dans une tribune du Monde, Dennis Ross, qui fut de 1989 à 2000 le principal émissaire
américain au Proche-Orient, précise les conditions auxquelles « tout deviendra possible ».
Sa conclusion :
« Une ouverture existe donc. Pourtant, elle ne permet pas de régler sur-le-champ les questions cruciales de Jérusalem, des frontières et des réfugiés. Aucune nouvelle
direction palestinienne ne sera capable de faire quelque concession que ce soit sur ces sujets avant d’avoir établi son autorité. Le défi consiste donc à s’assurer qu’elle apporte une amélioration des réalités quotidiennes, afin de gagner la confiance du peuple palestinien et d’acquérir la capacité à traiter, en temps et en heure, les questions essentielles du statut permanent.
Avec une direction palestinienne qui lutte contre la corruption, construit des institutions, élabore une législation et assume ses responsabilités, notamment en termes de sécurité, tout deviendra possible, y compris la vision du président Bush d’un État palestinien viable, coexistant avec l’État juif d’Israël. Sans cela, il n’y aura aucun changement. Il s’agit d’un moment historique, qui ne durera vraisemblablement pas. Si nous ne saisissons pas [l’occasion], elle sera perdue pour longtemps. »

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires