Fonds souverains : bon plan ou usine à gaz ?
Les pays producteurs de ressources naturelles sont nombreux à lancer des véhicules d’investissement pour faire face à la volatilité des cours. Le tout est de savoir les utiliser à bon escient.
Depuis 2011, trois fonds souverains ont vu le jour en Afrique : l’Angola, le Nigeria et le Ghana ont chacun lancé un véhicule d’investissement pour rentabiliser l’excédent de leurs revenus pétroliers. Séduits par cette initiative, le Mozambique, la Sierra Leone et la Tanzanie, qui ont récemment découvert des gisements d’hydrocarbures dans leurs sous-sols, ont décidé de leur emboîter le pas. Et cela n’est pas fini. D’autres pays devraient suivre l’exemple dans les années à venir (voir carte).
La chute du cours du brut en 2009, à environ 70 dollars (50 euros) le baril – après que celui-ci eut atteint le niveau stratosphérique de plus de 140 dollars l’année précédente -, a mis en évidence la vulnérabilité des économies dépendantes des ressources naturelles et a encouragé les gouvernements africains à penser en cycles plus longs. De fait, de plus en plus de pays producteurs, une dizaine environ, travaillent à la création de fonds d’investissements publics ayant pour mission de faire fructifier la rente tirée des ressources naturelles et d’atténuer l’impact des variations des cours des matières premières sur leurs économies. Un concept directement inspiré des pays du nord de l’Europe riches en hydrocarbures, la Norvège notamment.
En réalité, les fonds souverains ne sont pas une nouveauté sur le continent. Le Botswana a créé son Pula Fund en 1994, l’Algérie son Fonds de régulation des recettes en 2000, et la Libyan Investment Authority (LIA) existe depuis 2006. Par ailleurs, la Mauritanie, le Gabon, la Guinée équatoriale et São Tomé e Príncipe possèdent aussi leurs fonds souverains, même si les informations sur leurs actifs et leurs cibles d’investissement sont difficiles à identifier.
Longueur d’onde
Cette nouvelle vague vient donc ranimer le débat sur le rôle que doivent jouer ces fonds. Shantayanan Devarajan, économiste en chef pour l’Afrique à la Banque mondiale, prévient : « Dans certains cas, ces fonds ont été utilisés de manière opportune pour combler un déficit budgétaire. Dans d’autres cas, ils ont été tellement sollicités que les gouvernements n’ont pas réussi à les protéger. » Les bailleurs de fonds eux-mêmes ne sont pas sur la même longueur d’onde. Il existe trois principaux types de véhicules d’investissement : les fonds de stabilisation, qui servent à contrer les chocs des prix des matières premières, l’inflation et la volatilité des devises ; les fonds de développement, qui mettent de l’argent de côté pour financer programmes sociaux et infrastructures ; et enfin les fonds d’épargne, qui investissent à long terme dans des actifs à haut rendement.
Le fonds algérien bouche les trous
Pour se prémunir contre les variations des prix mondiaux des hydrocarbures, dont l’exploitation représente 98 % de ses revenus d’exportation et plus de 70 % de ses recettes budgétaires, l’Algérie a créé en 2000 le Fonds de régulation des recettes (FRR). L’objectif initial ? Absorber les surplus financiers générés par la vente de pétrole et de gaz par rapport au prix fiscal retenu lors de l’élaboration du budget. De 2000 à 2007, le prix de référence fiscal était de 19 dollars (sauf en 2002, à 22 dollars), pour un cours moyen du baril de 42,15 dollars. Entre 2007 et 2011, la base fiscale est remontée à 37 dollars, tandis que le cours de l’or noir s’est établi en moyenne à 82,15 dollars. C’est donc un véritable trésor de guerre qu’a amassé le FRR depuis sa naissance : il serait doté de 57 milliards de dollars (43,6 milliards d’euros), selon le Sovereign Wealth Fund Institute.
Cependant, ces ressources ne sont pas utilisées pour développer l’économie ou pour effectuer des prises de participation dans des sociétés étrangères. En fait, le FRR sert à combler le déficit du Trésor algérien, qui a explosé entre 2008 et aujourd’hui. Durant cette période, le fonds a financé le déficit budgétaire à hauteur de 35 milliards d’euros. Ce triste constat a amené le Forum des chefs d’entreprise à le qualifier, fin 2012, d’« échafaudage bureaucratique encombrant, vidé de toute signification économique ». Thouraya Triki, économiste à la Banque africaine de développement (BAD), analyse : « L’Algérie a une gestion prudente du fonds et investit principalement dans les bons du Trésor américain, ce qui n’est pas rentable. On aurait pu faire mieux fructifier cette manne. » Pour 2013, le déficit budgétaire est d’ores et déjà prévu à 17 % du PIB. Ryadh Benlahrech
Pour avoir à maintes reprises prêté de l’argent à des pays ayant subi un choc des prix des matières premières, le Fonds monétaire international (FMI) favorise le modèle de stabilisation. Par exemple, en 2009, l’institution avait dû prêter 1 milliard d’euros à l’Angola, l’un des plus importants producteurs de pétrole du continent. De son côté, la Banque africaine de développement (BAD) encourage les fonds de développement parce qu’ils peuvent contribuer à financer les infrastructures nécessaires à la croissance régionale.
Télécoms, tourisme, btp…
En ce sens, la LIA est un exemple : par le biais de sa filiale africaine, le Libyan African Investment Portfolio, elle a investi dans des opérateurs télécoms en Zambie, en Ouganda, en Côte d’Ivoire et au Niger, et pris des participations dans des hôtels, des compagnies pétrolières et des sociétés de BTP. Idem au Gabon. Le Fonds souverain de la République gabonaise (FSRG), créé début 2012 – en remplacement du Fonds pour les générations futures lancé en 1998 – et géré par le Fonds gabonais d’investissements stratégiques (FGIS), doit surtout investir pour développer de nouvelles filières nationales capables de générer suffisamment de revenus pour se substituer à ceux tirés du pétrole. Alimenté par 10 % des revenus pétroliers, le FGIS entend porter la cagnotte du FSRG à plus de 750 millions d’euros à l’horizon 2017. C’est seulement à partir de ce seuil que le FSRG pourra reverser 75 % de ses revenus au budget de l’État.Qu’il s’agisse de la LIA ou du FSRG, investir en Afrique n’empêche pas de miser aussi sur les marchés étrangers. C’est cette option qui a été retenue par le Ghana. Abena Amoah, une financière membre du comité de placement du Petroleum Holding Fund et des Ghana Petroleum Funds (créés en 2011), qui détiennent déjà plus de 75 millions d’euros, défend d’ailleurs ce positionnement : « Il est nécessaire de diversifier son exposition », dit-elle.
Issa Faye : « Il faut accompagner les États »
Selon la Banque africaine de développement, les fonds souverains peuvent être un moteur du développement… à condition d’investir sur le continent.
Auteur, avec Thouraya Triki, de l’étude « Africa’s Quest for Development : Can Sovereign Wealth Funds Help ? » (décembre 2011), Issa Faye, chef de la division Recherche sur le développement de la Banque africaine de développement (BAD), constate l’intérêt croissant des États africains pour les fonds souverains. Il relève aussi une dynamique positive dans la gestion de ces fonds.
Jeune Afrique : Quel doit être le rôle d’un fonds souverain ?
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Souvent, cependant, les fonds souverains sont sujets à polémique quant à leur gestion. Au Nigeria par exemple, l’Excess Crude Account, ancêtre de l’actuelle Nigerian Sovereign Investment Authority, a vu plusieurs milliards d’euros disparaître de ses caisses. Les dirigeants du pays ont été accusés par l’opposition d’avoir utilisé cet argent pour financer des campagnes électorales et alimenter leurs propres comptes bancaires. Le nouveau gouvernement nigérian a donc pris des dispositions pour éviter de telles dérives. Le fonds souverain, dont l’État est membre du conseil d’administration, a été mis en place par une loi, et des instructions strictes ont été données par la ministre des Finances, Ngozi Okonjo-Iweala. L’enjeu est de taille : la Nigerian Sovereign Investment Authority gérera 750 millions d’euros dans le cadre de trois fonds (stabilisation financière, infrastructures et générations futures). Cette enveloppe devrait être portée à près de 4 milliards d’euros d’ici à trois ans.
De même, l’Angola promet la transparence et le respect de codes de conduite tels que les principes de Santiago, un ensemble de bonnes pratiques définies par le FMI. Reste que le Fonds souverain de l’Angola est présidé par Armando Manuel, le secrétaire du président José Eduardo dos Santos pour les affaires économiques, et que l’un des fils du chef de l’État, José Filomeno, est au conseil d’administration…
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