Fièvre hip-hop au Maroc

Né dans les quartiers populaires des grandes villes du royaume, ce style musical engagé, parfois enragé, rencontre un grand succès auprès de la jeunesse, mais reste en marge des circuits officiels.

Publié le 15 octobre 2006 Lecture : 4 minutes.

Pas un festival de musique sans groupe de rap, pas une soirée branchée sans DJ ! Ce style musical est entré dans les murs. Il inonde Derb Ghallef, le grand bazar de la contrefaçon de Casablanca. Mais cette musique « de rue » a encore du mal à en sortir pour atterrir sur les étals des disquaires. La mouvance rap marocaine émane des quartiers populaires et se veut résolument engagée. Sur un rythme saccadé à la limite du supportable, des paroles assassines en darija, dialecte local, percutent les esprits. Thèmes de prédilection : la misère, la violence, la drogue, les barbus, le sexe, l’émigration, l’injustice. En somme, tous les maux qui gangrènent la société.
Mouvement encore embryonnaire il y a cinq ans, le rap s’est aujourd’hui imposé comme une vraie culture, avec ses codes, ses lieux de rassemblement et ses leaders. Les références musicales restent américaines – Eminem, Dr Dre et autres Tupac -, même si les rappeurs locaux ne s’identifient pas pour autant à leur mode de vie. Pas de grosses voitures, de filles dénudées ou d’armes à feu, ces artistes revendiquent leur appartenance populaire et musulmane. « On est respectueux de certaines valeurs, on a une éthique. Nous, on préfère se poser dans un café habillés d’une gandoura et fumer la chicha », explique DJ Khalid, compositeur du groupe H-Kayne.
Quelques-uns sortent du lot et portent parfois des noms étranges et souvent difficiles à prononcer. Derrière le rappeur Awdelil (« le cheval de la nuit ») se cache Noureddine. Cet étudiant en informatique mixe ses textes, incisifs et polémiques, sur fond de rap US et les met en ligne. Pas de disque ni de cassette, son uvre se résume en un fichier sur ordinateur. De son propre aveu, c’est le seul moyen dont il dispose pour s’exprimer. Mais pas question d’en faire son métier. Comme les Daft Punk, groupe électro français, il cultive le mystère sur son identité. Son succès a poussé certains à s’approprier son nom pour faire connaître leur propre musique. Mais Awdelil ne reconnaît la paternité que de trois titres parmi ceux qui circulent : « Messaoud », « Samia w l’ghalia », et « Raw Daw », sa première chanson, dont les paroles sont crues mais expriment une réalité qui ne l’est pas moins. « T’arrête pas sur les mots vulgaires, ils reflètent la sagesse populaire. Réfléchis, médite Elle tourne, elle tourne la mariée, pendant ce temps la société bouillonne et le pays recule à grands pas. Allez, distribuez les paniers-repas ! »
H-Kayne (« qu’est-ce qu’il y a »), autre groupe connu, est le fruit de la fusion des Dogs et du DJ franco-marocain Khalid. Spécialiste du scratch, art de jouer avec les platines, il a été sacré deux fois champion de France de cette discipline et a représenté le Maroc aux championnats du monde. La formation de Meknès a su imposer son style, un rap à la fois festif et engagé. Son opus « Hlach Haïch ? » (« Pourquoi je vis ? ») condamne les écarts de revenus de plus en plus forts au Maroc et rend hommage à tous ceux qui, malgré la misère, luttent pour survivre. « J’honore les gens de l’ombre, ceux que la vie encombre. Et Dieu sait qu’ils sont nombreux ! »
Les membres de Fnaire, eux, puisent leur inspiration dans les rues de Marrakech, leur ville natale. Ni rebelles ni révolutionnaires, ils qualifient leur musique de « rap traditionnel », un mélange improbable de musique typiquement marocaine et de hip-hop américain.
Le rap chérifien est par essence urbain, et toutes les grandes cités du royaume ont leurs talents. Que ce soient les Fassis de Fez City Clan ou Zanka Flow (le « flow » de la rue) à Tanger, tous se retrouvent derrière le même message : ils aiment leur pays et veulent y vivre dans de bonnes conditions, en paix. Le Boulevard des jeunes musiciens, à Casablanca, est devenu la scène incontournable. Presque tous les groupes émergents y ont fait leurs premières armes. Avec sa section Rap/Hip-hop, l’Boulvard, comme on l’appelle, attire de plus en plus de monde. La huitième édition s’est tenue du 15 au 22 juillet dernier et a accueilli entre 50 000 et 60 000 aficionados.
Comme beaucoup d’artistes au Maroc, les rappeurs n’ont pas de circuit de distribution officiel. Ils ont donc recours au système D, s’autoproduisent, enregistrent dans leur appartement puis mettent leurs CD en vente chez le disquaire du coin. Ces musiciens souvent amateurs n’ont pas les moyens de louer un studio d’enregistrement. Quant à ceux qui espèrent une subvention du ministère de la Culture
Mais certains essaient de faire leur place. Fez City Clan, vainqueurs de l’édition 2005 du Boulevard, ont sorti leur premier album en avril dernier. Leur stratégie marketing ? Ils n’en ont pas. La rue et le bouche à oreille sont garants de leur renommée. Quelques formations ont réalisé des clips mais les télévisions sont encore réticentes à diffuser ce style de musique.
Les radios locales ont également mis du temps avant de se risquer à leur ouvrir les ondes. Les textes, souvent engagés et parfois osés, ne sont pas du goût de tous les auditeurs. Étant donné que les radios libres, le vecteur de l’expansion du rap dans le monde, sont quasi inexistantes dans le pays, le moyen de se faire connaître reste Internet. Les groupes ou leurs fans mettent leur dernière création sur le Net, en format mp3, et attendent que l’onde se propage. Difficile, cependant, de croire que les rappeurs marocains connaîtront le même succès que leurs homologues occidentaux. Souhaitons-leur au moins de faire évoluer les mentalités.

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