Rien ne peut les arrêter

Au vu des résultats et des potentialités, la croissance économique rapide des deux géants devrait se poursuivre pendant encore une génération.

Publié le 15 juillet 2007 Lecture : 5 minutes.

« Chindia », c’est le mot forgé par l’ancien ministre indien Jairam Ramesh pour désigner les deux géants de l’Asie, qui totalisent à eux deux 38 % de la population mondiale. S’ils ont bien des points communs, l’examen de leurs différence – tout aussi frappantes – est un bon moyen de dégager leurs perspectives de croissance. C’est à quoi se sont attelés Barry Bosworth et Susan Collins, de la Brookings Institution de Washington, qui ont comparé les résultats des deux pays pour la période 1978-2004. L’après-1993 est particulièrement intéressant, car c’est là qu’on a pu mesurer les conséquences des réformes de 1991 en Inde.

Globalement, la croissance chinoise a été de 9,7 % contre 6,5 % pour l’Inde. Donc, compte tenu des différences de croissance démographique, le revenu réel de l’Inde par tête a moins augmenté que celui de la Chine. L’emploi n’a généré qu’une petite partie de la croissance : 1,2 % par an pour la Chine et 1,9 % pour l’Inde. En Chine, la production par ouvrier a augmenté au rythme effarant de 8,5 % par an. Les accroissements de capital matériel par ouvrier ont représenté la moitié de cette augmentation et les accroissements de pure efficacité – ce que les économistes appellent le « facteur productivité » – le reste. La production par tête de l’Inde a progressé de 4,6 % par an. Étant donné l’importance de l’investissement en Chine, il n’est pas surprenant que l’accumulation de capital matériel de l’Inde ait contribué deux fois moins à la croissance qu’en Chine. Mais le facteur productivité a eu aussi en Chine un impact presque double.
L’étude fait également apparaître des contrastes très significatifs avec d’autres économies d’Asie orientale (Indonésie, Corée du Sud, Malaisie, Philippines, Singapour, Taiwan et Thaïlande). La croissance de la production par tête en Inde entre 1993 et 2004 a été aussi rapide ou plus rapide que celle de ces sept économies réunies entre 1960 et 2003. Le facteur productivité a apporté à la croissance de l’Inde une contribution de 2,3 % par an entre 1993 et 2004. Pour les pays de l’Asie de l’Est, les chiffres correspondants ont été de 1,2 % entre 1960 et 1980, de 1,4 % entre 1980 et 1993 et seulement de 0,3 % entre 1993 et 2003.
Dans l’agriculture, la Chine affiche une croissance de 3,7 % par an, contre seulement 2,2 % pour l’Inde. L’augmentation du nombre d’emplois a été négative dans l’agriculture chinoise et marginalement positive en Inde. La grande différence réside dans la hausse de la production par ouvrier, la Chine, là encore, accumulant plus rapidement du capital et enregistrant une croissance beaucoup plus rapide du facteur productivité.
Dans l’industrie, le taux de croissance de la Chine s’est situé à 11 % par an, avec une contribution de l’emploi de seulement 1,2 %. La production par ouvrier a atteint + 9,8 % par an. Pas moins de 6,2 % de cette croissance étaient dus au renforcement du facteur productivité. Pour sa part, la croissance industrielle de l’Inde n’a été que de 6,7 % par an. Le facteur productivité n’y a contribué que pour 1,1 % par an, mais l’augmentation de l’emploi a apporté 3,6 %.

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Dans les services, le taux de croissance de l’Inde a été proche de celui de la Chine : 9,1 % par an, contre 9,8 %. La production par ouvrier a contribué pour 5,1 % à la croissance de la Chine et pour 5,4 % à celle de l’Inde. C’est le seul secteur où l’amélioration de la productivité de l’Inde a été du même ordre que celle de la Chine. L’augmentation du facteur productivité a contribué pour 3,9 % à la croissance indienne et seulement pour 0,9 % à celle de la Chine.
Pour l’Inde, les résultats sont largement ceux que l’on pouvait attendre. Mais la performance de la Chine en matière de productivité est bien meilleure que ce qu’indiquaient les études précédentes. C’est en partie à cause des révisions des comptes nationaux, qui ont relevé le niveau de la croissance des services. Tout aussi importantes sont les hypothèses techniques concernant l’impact des réserves de capitaux sur la production, car les réserves financières en Chine ont progressé beaucoup plus vite que l’économie.
De toute évidence, cet effort est héroïque. Néanmoins, le tableau d’ensemble est fort intéressant. Ces deux économies ont réalisé sur la durée une performance remarquable, bien que celle de la Chine soit nettement supérieure. Le secteur numéro un de l’Inde, ce sont les services. Pour la Chine, c’est l’industrie. L’augmentation de l’emploi hors industrie est faible et la part de l’agriculture dans l’emploi reste élevée : 47 % pour la Chine et 57 % pour l’Inde en 2004. La performance de la Chine en matière de productivité est étonnante, en grande partie grâce à l’augmentation de la production par ouvrier dans l’industrie, bien qu’elle ait également obtenu de bons résultats dans l’industrie et les services. La performance de l’Inde en matière de productivité est, elle aussi, satisfaisante, essentiellement grâce aux services.
La conclusion, comme l’indique l’étude elle-même, est que « du côté de l’offre, les perspectives de continuation d’une croissance rapide sont très bonnes ». Avec une économie remarquablement ouverte et des investissements bruts s’élevant à 43 % du PIB l’an dernier, il est difficile d’imaginer ce qui pourrait freiner gravement la croissance de la Chine à moyen terme. Peut-être un effondrement du système politique et économique mondial. Ou bien une instabilité politique ou sociale interne. Sur le long terme, le refus de réformer pourrait faire courir un risque.

Les investissements en Inde sont beaucoup plus faibles. Mais ils approchent déjà 30 % du PIB. Si la situation fiscale continue de s’améliorer et l’afflux de capitaux étrangers à long terme de s’accélérer, le taux d’investissement pourrait encore s’élever. En partie parce que l’infrastructure y est insuffisante et la performance industrielle décevante, la marge de progression de l’Inde est plus grande que celle de la Chine. Mais l’Inde pâtit aussi de graves handicaps. Le plus important, outre l’infrastructure et une administration relativement inefficace, est l’étendue de l’analphabétisme. En 2002, seulement 73 % des adultes masculins savaient lire et écrire, et, hélas ! 48 % des femmes, contre respectivement 95 % et 87 % en Chine.
La Chindia bouge. Comme le niveau de vie des Chinois et des Indiens est nettement inférieur à celui des pays à hauts revenus – cinq fois pour les premiers, dix fois pour les seconds -, la croissance rapide des deux géants pourrait se prolonger pendant encore une génération.

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