Embarquement pour l’enfer

Seul moyen de transport entre Nouadhibou et Zouérate : un train de marchandises.

Publié le 15 juillet 2007 Lecture : 3 minutes.

Quelle raison peut bien inciter un être sensé à parcourir 675 km à travers le Sahara, sous un soleil écrasant, dans un wagon de marchandises peinant à atteindre les 50 km/h, au milieu de chèvres, de moutons et de quelques compagnons d’infortune ? La réponse est simple. D’abord, parce que c’est gratuit. Ensuite, et surtout, parce que c’est le seul moyen de transport entre Nouadhibou (90 000 habitants), sur la côte atlantique, et Zouérate, au fin fond du Nord-Ouest mauritanien, dont la particularité est de posséder une énorme mine d’hématite à ciel ouvert. « En voiture, le risque est effrayant, commente Mohamed Vall Ould Cheikh, un habitué. Vous êtes au milieu de nulle part, sans route carrossable, sans point d’eau, sans ravitaillement. Si votre véhicule rend l’âme, vous avez toutes les chances de mourir avec lui. »
Le train, lui, est solide : 220 wagons transportent le minerai de Zouérate jusqu’au port encombré de Nouadhibou. C’est le plus long et le plus lourd du monde. En principe, il n’est pas destiné au transport des passagers. Mais quelques wagons déglingués ont quand même été – plus ou moins – aménagés à l’intention de ces derniers. Chaque jour, une centaine de personnes embarquent à Nouadhibou. Direction Zouérate ou Choum, une bourgade poussiéreuse située aux deux tiers du chemin.
« Comment faire autrement ? Il n’y a ni avion, ni bus, ni camion », proteste Sidini Ould Ali, enseignant à Zouérate, en descendant de son tas de minerai. Il est fourbu, couvert de poussière et secoué par une quinte de toux. Avec sa femme et ses deux enfants, il vient passer le mois de juillet à Nouadhibou, une ville plus intéressante que celle où ils résident habituellement. D’autres passagers ont des préoccupations plus terre à terre. C’est le cas de Cheikh, qui, après avoir empilé sur le quai des sacs de marchandises, attend que le train reparte vers le Nord : « Vous savez, je suis commerçant et réalise un beau bénéfice en transportant gratuitement mes articles. »
La Société nationale industrielle et minière (Snim), qui affrète le train, voit d’un fort mauvais il ces passagers plus ou moins clandestins. « C’est dangereux, s’alarme Ely Ould Abeilly, le représentant de la société dans la capitale. S’il existait un autre moyen de transport, nous interdirions l’accès au train. Il est très lourd et, en cas de déraillement, ce serait une hécatombe. »
Vers 14 heures, le convoi entre en gare. Aussitôt, c’est la ruée. Des chèvres bêlantes sont hissées à bord, à bout de bras. On dispose à la hâte des sacs de sable qui serviront de foyer pour les feux ou de toilettes improvisées pour les femmes. Quinze minutes plus tard, le train repart, laissant en rade ceux qui n’ont pas eu le temps de charger leurs marchandises.
Au départ de Nouadhibou, les conditions de transport sont un peu moins pénibles – tout est relatif. Les wagons ne sont remplis que de poussière et des objets hétéroclites que les passagers sont parvenus à y charger : ici, une automobile ; là, un chameau Mais le voyage reste une torture. Le jour, les wagons sont des fours. La nuit, ils se transforment en congélateurs. L’intimité est inexistante. Les hommes se soulagent par-dessus bord ou profitent d’un ralentissement pour se faire la belle et revenir en courant. Un exploit dont la plupart des femmes sont naturellement incapables. Pour 4 dollars, elles peuvent espérer une place dans un wagon équipé de toilettes sommaires, mais bondées. « Au moins, on n’est pas avec les moutons et les chiens », s’exclame l’une d’elles.

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