L’Europe rouvre le dossier Öcalan

Publié le 15 mai 2005 Lecture : 2 minutes.

Depuis le 12 mai, Abdullah Öcalan, 56 ans, chef de l’ex-PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan), le parti séparatiste kurde, arrêté au Kenya en février 1999, refait les gros titres de la presse turque. Le détenu, qui croupit dans l’île-prison d’Imrali (Boursa) depuis sa condamnation à perpétuité, le 29 juin 1999, pour « trahison et séparatisme », a vu plusieurs de ses griefs reconnus par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Et non des moindres, puisque, par onze voix contre six, les juges de la Grande Chambre ont estimé qu’il n’avait pas bénéficié d’un procès équitable devant la Cour de sûreté d’Ankara. D’abord parce qu’un juge militaire y siégeait. Ensuite parce que l’accusé n’avait pu être assisté de ses avocats lors de sa garde à vue et que leur accès au dossier, trop tardif, ne leur avait pas permis de préparer correctement sa défense. Certes, Öcalan n’a pas été suivi sur tous les points : les conditions de son arrestation et de sa détention n’ont pas été jugées contraires à la Convention européenne des droits de l’homme. Mais il a gagné sur l’essentiel puisque la Cour incite fermement la Turquie à le rejuger.
Cet arrêt ne constitue pas une surprise, mais il risque de provoquer de vives réactions dans le pays. Öcalan, qui exerce sur une bonne partie des Kurdes une véritable fascination, cristallise toute la haine d’une opinion turque encore traumatisée par le conflit qui, de 1984 à 1999, opposa son armée au PKK dans le Sud-Est anatolien et fit plus de 30 000 victimes.
Justement, ces dernières semaines, plusieurs incidents avaient révélé une exacerbation du sentiment nationaliste. Il a suffi que quelques adolescents kurdes tentent de brûler le drapeau turc à Mersin pour que le pays s’enflamme et que, quelques jours plus tard, des militants d’extrême gauche manquent d’être lynchés, à Trabizonde, par une foule surexcitée qui les prenait pour des militants du Kongra-Gel, successeur du PKK.
Sans perdre un instant, le général Büyükanit, commandant de l’armée de terre, connu pour son hostilité à l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne (UE), a estimé que la décision de la CEDH, « de nature exclusivement politique », n’avait « pas de base légale ». De crainte que l’armée n’exploite cette nouvelle affaire pour affaiblir son gouvernement, le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan s’est empressé de relativiser les conséquences de l’arrêt de la CEDH. Ses critiques, a-t-il souligné, ne portent pas sur le fond mais sur des questions de procédure. Tout en clamant que « dans l’esprit du peuple turc, le dossier Öcalan est une affaire classée », il a laissé entendre que la justice nationale, dotée dans l’intervalle d’un nouveau code pénal, pallierait ses carences passées. Il n’a guère le choix : l’UE a déjà fait savoir qu’elle suivrait ces développements de très près… La Turquie, qui attend l’ouverture des négociations d’adhésion avec l’UE en octobre, se retrouve donc sous pression. Mais si elle parvenait à relever ce défi démocratique et à rejuger équitablement cet assassin de sinistre mémoire, elle pourrait, aussi, marquer des points.

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