Dialogue tunisien

Publié le 15 mai 2005 Lecture : 2 minutes.

Il y a d’abord cette beauté particulière des lieux, rien qui ne coupe vraiment le souffle, mais quelque chose d’évident, comme cette mer bleue qui vient tranquillement s’échouer sur la plage. Il y a la douceur de l’air et la gentillesse des gens, la folie maîtrisée des nuits d’été et le conformisme calfeutré des soirées d’hiver. Nous voilà dans un pays stable, qui s’enrichit et s’embourgeoise. Un pays qui se veut au carrefour, tout en restant musulman, mais sans sombrer dans la religiosité ou l’extrémisme. Un pays où la corruption et les inégalités s’accentuent, mais sans que cela devienne endémique ou totalement incontrôlable. Un pays visité chaque année par des millions de touristes, pas trop inquiets pour leur sécurité. Un pays d’écoliers et d’étudiants, un pays où les femmes ont quasiment les mêmes droits que les hommes. Un pays où l’on sent la présence forte d’une nation, d’une collectivité de destins et de cultures.

Je ne suis pas dans un pays du Tiers Monde, ni dans un pays riche, ni d’ailleurs dans un pays émergent, au sens asiatique et spectaculaire du terme. La Tunisie, c’est une expérience à part, un mélange de prudence et de gestion, une politique des petits pas appliquée à tout, rien de révolutionnaire, pas de grand bond en avant, mais du souffle, de la continuité, une forme de cogestion quasi familiale des problèmes, tout cela depuis près d’un demi-siècle, depuis l’indépendance.
D’où le mystère absolu. Comment cette Tunisie aussi génétiquement équilibrée, aussi cohérente et construite, a-t-elle si peu progressé sur le plan des libertés et de la démocratie ? Pourquoi y est-il aussi difficile, aujourd’hui comme hier, de s’exprimer, d’écrire, de s’opposer ? Comment expliquer le décalage entre l’opinion publique, la société civile d’un côté et la société politique de l’autre ?

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J’en parle avec un homme politique important.
Je lui raconte une anecdote : Il y a déjà de longues années, un proche aurait dit à l’ancien président Bourguiba : « Vous pouvez faire en sorte que la croissance économique soit de 5 % par an. Mais vous devez faire en sorte que la croissance des libertés soit de 2,5 % par an. Ainsi en vingt-cinq ans, la Tunisie sera trois fois plus riche et presque deux fois plus démocratique… »
Je dis à mon interlocuteur qu’aujourd’hui la Tunisie est beaucoup plus riche, mais qu’elle n’est ni plus ni moins une démocratie qu’il y a quarante-neuf ans, au jour de l’indépendance.
L’homme de pouvoir me regarde et me dit que je suis naïf et que je n’y connais rien en politique : « Ce pays a besoin d’être tenu, et c’est parce qu’il est tenu qu’il s’est enrichi et qu’il s’est développé. »
Je réponds avec l’aplomb de ceux qui n’y connaissent rien : « Les temps ont changé. Aujourd’hui, la démocratisation n’est pas une option, c’est une aspiration générale et une nécessité. Et puis, personne n’a jamais vu un pays entrer dans le club des grandes nations sans entrer préalablement dans celui de la démocratie. »
Le débat est ouvert. J’espère que les « naïfs » auront raison.

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