Évolutionnisme rime avec créationnisme et culte de Dieu

Publié le 15 janvier 2006 Lecture : 6 minutes.

Le Coran est évolutionniste(1), et il y a dans la pensée musulmane une longue tradition d’évolutionnisme, dont on peut suivre le mouvement du Xe au XIVe siècle, des Frères de la pureté à Ibn Khaldun(2).

Le problème se posa en Occident avec Darwin, dont l’ouvrage fut traduit presque dès son apparition en arabe, et donna lieu à un vif débat, pour et contre, mais sans grande émotion. Afghânî était en effet évolutionniste. L’absence d’émotion excessive s’explique par le fait que rien dans le Coran ne s’oppose d’une façon formelle à l’évolutionnisme, bien au contraire. Il en est autrement dans la Bible et dans le christianisme. En effet, pour le christianisme, Dieu créa l’homme « à son image ». Or, si l’homme est à l’image, physique, de Dieu, comment peut-il « descendre du singe ! » Inacceptable. Le darwinisme fut violemment repoussé, et il a fallu attendre Jean-Paul II pour qu’il soit finalement reconnu, avec beaucoup de réserves, car il est devenu impossible de le rejeter. Les Évangélistes cependant campent toujours sur leurs positions (Journal de France 2, 20 novembre 2005, 13 heures), qui sont les seules conformes aux Écritures judéo-chrétiennes.
La Bible est, en effet, farouchement fixiste, et, dans de nombreux passages, elle donne à Dieu une forme humaine. Il visite souvent la Terre sous cette forme ; une fois même il s’était battu, à son désavantage, avec Jacob. L’homme, en effet, dès le début de la Création, se pose comme un rival des dieux. Nous le voyons se promener au paradis en leur compagnie : « Yahvé dit : « Voilà que l’homme est comme l’un de nous ». » (Gn., 3 : 22). Cela provoqua son expulsion, et « les chérubins et la flamme du glaive tournoyant » (Gn., 3 : 24) furent postés pour lui en interdire de nouveau l’accès.
Dans ce contexte, voici comment est relatée la création des animaux, « selon leur espèce », chaque animal dans sa forme fixe et définitive ; et comment l’homme fut créé à l’image de Dieu, ou des dieux dont il devint le rival, ce qui ne laisse aucune place à l’évolution :
« Dieu dit : « Que la Terre fasse sortir des êtres vivants selon leur espèce : bestiaux, reptiles, bêtes sauvages, selon leur espèce ». » Il en fut ainsi : Dieu fit les bêtes sauvages selon leur espèce, les bestiaux selon leur espèce, et tous les reptiles du sol selon leur espèce. Dieu vit que cela était bon.
« Dieu dit : « Faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance, et qu’il domine sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, sur les bestiaux, sur toutes les bêtes sauvages et sur tous les reptiles qui rampent sur la Terre. » Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il créa » (Gn., 1 : 24-27).
La ressemblance, dans ce contexte, ne peut être que physique, ce qui n’est pas choquant pour le christianisme. Le Christ Dieu, fils de Dieu né de Marie la Mère de Dieu, a bien vécu sur Terre en homme avec toutes les particularité humaines, il fut bien tué comme un vulgaire malfaiteur entre deux autres malfaiteurs, il est remonté au ciel dans sa forme humaine, il s’est assis à la droite de Son père, et Sa mère, la Mère de Dieu, l’a rejoint à son tour, en chair et en os, toute vivante, sans passer par la mort comme son fils, s’est assise à ses côtés, fut investie des fonctions de reine de l’Univers, et de temps à autre elle visite la Terre dans une forme parfaitement humaine. L’homme, créé à l’image de Dieu, n’est pas une métaphore. On comprend qu’il ne puisse être l’arrière-petit-neveu d’une limace.
Rien, dans le Coran, de cette famille où le Père, le Fils et l’Esprit saint sont de même nature, c’est-à-dire du même sang bleu royal, et dont les membres bénéficièrent du regroupement familial au ciel. Tout dans le Coran conduit plutôt à une conception de la création entière comme un processus devant ontologiquement, par atwâr, par étapes successives, enfanter l’homme qui y est en projet, et qui en est l’aboutissement final. Pour mieux saisir le kayf, le comment (24 occurrences dans le Coran dans ce sens) de ce projet, Dieu nous invite à lire les Âyât, les Signes, répandus partout dans l’Univers, dans tous les horizons (Âfâq), et en nous-même (Coran, 41 : 53). C’est justement par la lecture des Signes que l’homme a, aujourd’hui, découvert, avec preuves scientifiques à l’appui, le kayf de l’évolution, que les Écritures judéo-chrétiennes ne peuvent en aucune façon admettre. L’évolutionnisme non seulement ne s’oppose pas au Coran, il le renforce.
Seulement la lecture des Signes ne conduit pas forcément à Dieu. Cette lecture peut tout aussi bien conduire à nier Dieu. Il faut qu’il en soit ainsi pour que la liberté de l’homme ait un sens ; pour qu’elle ne soit pas une fiction de liberté. Pour que l’homme soit vraiment libre, il faut qu’il fasse l’expérience de sa liberté, et le critère en est la capacité de dire non à l’évidence, de nier et de désobéir. Autrement, la foi serait une contrainte de type mathématique. Or Dieu, sur demande de l’homme, lui a donné une vraie liberté. On peut donc, contre toute évidence des Âyât, être un évolutionniste athée ; comme on peut, en suivant l’évidence des Âyât, être un évolutionniste croyant.
L’athée dit : l’aboutissement de l’évolution à l’homme est le fruit d’un hasard contraint. Le meilleur défenseur de cette thèse est le Prix Nobel français Jacques Monod ; son meilleur représentant actuel est l’Américain Stephen Jay Gould.
Le croyant dit : la théorie du hasard contraint pour aboutir à l’homme pose une foule de questions, et finalement ne tient pas la route. Les questions que pose cette théorie sont, pour nous musulmans, innombrables, et les réponses de ses partisans n’ont pas la moindre force de conviction. Pourquoi y a-t-il matière, plutôt que le néant, ce qui est plus logique ? Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? Nous savons aujourd’hui avec certitude que ce quelque chose n’était pas là de toute éternité, comme on l’avait longtemps pensé, ce dont on tirait argument pour mettre à l’origine la matière sans commencement et sans fin, ce qui aboutit à un système cohérent par postulat, qui peut s’opposer à un autre postulat, celui qui met aux origines un Créateur avec un projet et un plan.
Comme tout postulat est indémontrable, les deux postulats opposés se trouvent renvoyés dos-à-dos. Depuis le Big Bang, ce n’est plus le cas. Le Big Bang a eu un commencement. D’où vient-il ? Du « hasard » aussi ! On ne peut imaginer un « hasard » qui tire quelque chose de rien. Examinons maintenant la matière née du Big Bang. Comment se fait-il que dans cette matière, de laquelle le « hasard contraint » a fait l’homme, se soient trouvés réunis tous les ingrédients nécessaires à sa fabrication ? Est-ce le « hasard » aussi qui a fait que tous ces ingrédients se soient trouvés réunis ?
La réponse est pour nous dans le Coran. Il y a des hommes qui, avec obstination, refusent de lire les Âyât, se contentant de vivre dans l’indifférence leur vie terrestre, sans se soucier de l’Au-Delà.
« Dans l’alternance de la nuit et du jour, dans ce que Dieu a créé dans les cieux et sur Terre ; il y a bien des Signes (Âyât) pour des gens qui se prémunissent. Ceux qui n’espèrent pas Nous rencontrer ; ceux qui trouvent leur satisfaction dans la vie d’ici-bas et en jouissent en toute confiance ; ceux qui sont indifférents à nos Signes ; ceux-là, leur aboutissement est le Feu, bilan de ce qu’ils avaient acquis » (Coran, 10 : 6-8).
Dieu est notre walî (des dizaines d’occurrences dans le Coran), notre ami, allié, etc. Il a fait de nous la cime de l’évolution. Certains sont reconnaissants ; d’autres ingrats. Quoi de plus naturel que de Lui rendre le culte qui nous fait vivre avec Lui dès l’ici-bas et le voir dans les Signes ?
L’alternance de la nuit et du jour ? Quoi de plus banal ? Eh bien, non ! Ce n’est pas banal. Il devrait faire plus clair la nuit que le jour. C’est ce qu’on appelle le paradoxe d’Olbers, découvert au XVIIIe siècle, et qui n’est pas encore totalement résolu. Un Signe inattendu, n’est-ce pas, qui devrait nous faire réfléchir, Lui rendre culte, pour enfin, summum de l’évolution, Le voir.

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1. Voir Mohamed Talbi et Maurice Bucaille, Réflexions sur le Coran, Paris, Seghers, 1989, chap. « L’homme dans le flux du vivant », pp. 83-93.
2. Voir Mohamed Talbi, Ummat al-Wasat, Tunis, Cérès, 1996, chap. « Nazhariyyat al-Nushû’ wal-Irtiqâ’ fi-l-Fikr al-Islâmî », pp. 95-115.

* Historien et penseur musulman tunisien. Dernier livre paru, Penseur libre en islam, Albin Michel, 2002.
Mohamed Talbi ayant livré une première réflexion sur ce thème (« Comment le Coran annonce l’évolution des espèces », J.A.I. n° 2338), des lecteurs ont souhaité en savoir plus.

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