Sidy Lamine Diarra

Le poète et comédien malien est décédé le 28 novembre à Paris.

Publié le 15 janvier 2006 Lecture : 3 minutes.

Né à Kayes, au Mali, en 1944, Sidy Lamine Diarra est revenu chez lui après un long voyage. Terrassé par une tumeur au cerveau, dite pourtant « bénigne » et qu’on croyait éradiquée depuis une première opération en 1982 – il n’avait en fait pas réussi à l’expulser, lui qui ne savait fermer ni sa porte ni son corps pour se protéger -, il est finalement rentré coucher à la maison sous son toit de terre et de cailloux, « un toit pour notre retraite de rêveur ». Mamba, le dieu païen de la savane, qui avait attendu pendant plus de soixante années le retour de cet émigré, explorateur des « autres extrêmes » jadis envolé en Europe « dans un parcours sinueux d’ombres noyées », n’a sans doute pas manqué de l’accueillir. Aura-t-il pour autant pu le retenir ? Il y a tout lieu de croire que Sidy, poète africain de langue française mort à Paris le 28 novembre dernier, ne se sera pas laissé facilement convaincre de mettre un terme à l’aventure ou un point final à la phrase en s’arrêtant à jamais dans le village de ses ancêtres. Dans ses Chants d’exil, lui-même avait d’ailleurs interrogé à l’avance « la guêpe qui survole l’espace » : « Où est-il, cet homme qui savait répondre à la moindre douleur des errantes âmes ? Où se cache-t-il, celui qui bravait les juges, les clergés ? » Ses proches, qui n’ont pas cessé de penser à lui depuis qu’il les a quittés, chipent sa réponse à l’insecte : Sidy vit dans leur coeur, dans leur mémoire.

Et c’est heureux ainsi, car les traces sont rares : fidèle en cela à la tradition des griots, Sidy a porté lui-même sa parole et chuchoté ses mots à l’oreille de ses interlocuteurs sans songer à confier ses poèmes ou ses pièces de théâtre (Le Pays des sept branches, lu à La Villette à la fin des années 1990) aux soins d’un éditeur. Il a traversé le ciel littéraire comme un ovni qui circulait librement du fleuve Sénégal à la Seine et se posait à loisir dans les sanctuaires les mieux gardés pour des dialogues secrets : il entrait chez Blanchot, Beckett, Lacan, Cioran et d’autres dont il serrait les oeuvres griffonnées sous un long manteau flottant autour de lui comme une djellabah quand il arpentait les rues de la capitale, toujours gros d’une indignation, d’un rire, d’une découverte…

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Restent des images : fou de cinéma depuis qu’il s’était assis, enfant, devant l’écran de Kayes agité par les vents du désert, Sidy est apparu dans de nombreux films, sans jamais avoir cherché à se construire véritablement une carrière d’acteur. On aperçoit l’ancien étudiant en cinéma de Paris-VIII (en plein Mai 68 !) dans Elisa de Jean Becker, dans Black Mic Mac au côté d’Isaach de Bankolé, dans les films de Patrick Grandperret – L’Enfant Lion, en 1993 et Le Maître des éléphants en 1995 -, dans Le Paltoquet de Michel Deville et dans plusieurs courts-métrages auxquels il fit le cadeau de sa présence, comme cette série américaine destinée à lutter contre l’excision.
Sidy avait en effet la générosité sans limite de ceux qui sont toujours fauchés. Il s’est dépensé pour les autres sans compter, mobilisant ses amis et parfois puissants soutiens au service de la diaspora de ses innombrables « petits frères » qui tentaient de prendre pied en France. Combien d’entre eux se sont-ils passé le mot pour aller se placer sous l’aile protectrice de cet énergumène, à l’évidence capable de tout ? Lui-même, qui s’était débrouillé pendant des années pour régler en poèmes la tôlière qui l’hébergeait dans un hôtel du 5e arrondissement, ne s’intéressait guère aux « détails » de la vie matérielle. Il n’a jamais demandé non plus la nationalité française que ses relations auraient pu obtenir pour lui, bien qu’il n’eût repris véritablement contact avec son pays et sa famille qu’à la fin de sa vie. Mais il respectait trop les identités pour en revendiquer aucune, animé davantage par la quête de l’autre que par la défense des intérêts de telle ou telle communauté. C’était sa façon à lui de faire voler en éclats un débat sur l’intégration qui l’ennuyait prodigieusement…

Dimanche 29 janvier à partir de 17h30, au Sous-Sol, 35, rue des Panoyaux (Paris 20e), les amis de Sidy, ses compagnes et ses complices se retrouveront pour passer la soirée avec lui.

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