Le dernier envol du shah

Publié le 15 janvier 2006 Lecture : 3 minutes.

Téhéran, aéroport de Mehrabad. En ce 16 janvier 1979, un vent aigre tourbillonne autour d’un Boeing 707 bleu et blanc rangé devant le Pavillon impérial où, en des temps plus heureux, Mohamed Reza Pahlavi, shahinshah, roi des rois et lumière des Aryens, accueillait les monarques et autres chefs d’État venus lui faire leur cour. Il est 14 heures lorsque le shah et son épouse, la shabanou Farah Dibah, montent dans l’avion. Mohamed Reza avait déjà fui Téhéran en août 1953 avec Soraya, son épouse d’alors, quand Mossadegh, porté au pouvoir par un grand élan populaire, avait voulu nationaliser le pétrole iranien. Avec l’aide de la CIA, ils avaient pu revenir rapidement… Cette fois, le 707 piloté par le shah en personne emmène les époux vers un voyage sans retour. Mohamed Reza mourra le 27 juillet 1980 à l’hôpital du Caire, d’un cancer de la rate. Il aura erré pendant dix-huit mois – confortablement, certes – de l’Égypte au Maroc, puis des Bahamas, au Mexique en passant par Panamá et New York, avant de revenir en Égypte, son ultime étape. Son règne aura duré un peu moins de trente-huit ans.

Fils souffreteux de Reza Shah, l’ex-berger fondateur en 1926 de l’éphémère dynastie Pahlavi – un géant de 2 mètres qui eut par ailleurs onze enfants reconnus et sans doute quelques autres -, Mohamed Reza ne fut installé sur son trône par les Britanniques, le 16 septembre 1941, que parce que son père penchait un peu trop du côté des Allemands. Certains sont convaincus qu’il était obsédé par le désir de se montrer à la hauteur de cet émule d’Atatürk et de faire fructifier un héritage dont, à la vérité, il se serait bien passé.

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Marcher sur les traces, même lointaines, de Cyrus le Grand, le bâtisseur de l’Empire perse, n’avait en effet rien d’évident pour un play-boy élevé dans un collège suisse. On comprend qu’il ait pu succomber à la mégalomanie. Dans son dernier livre (Vers la Grande Civilisation), il prétendra avoir reçu de la Volonté divine la mission de « diriger le destin du peuple iranien dans la période la plus prestigieuse de son histoire ». La base de la grande civilisation était, selon lui, « la réforme monarchique en tant qu’âme, essence, existence, source d’énergie et fondement de la souveraineté et de l’unité nationales ». « Rien, ajoutait-il, ne saurait arrêter le peuple iranien sur cette route, sinon la destruction totale de la civilisation humaine. »

Le shah disposait, comme l’on sait, d’une arme – le pétrole – que convoitaient trois autres grandes puissances, le Royaume-Uni, les États-Unis et la Russie. En 1973, lors du premier choc pétrolier, il fut de ceux qui contribuèrent à la flambée des cours. À partir de 1963, il avait eu pendant quelques années quelques velléités réformatrices. « Je vais aller plus vite que la gauche », disait-il. Mais ses rêves de grandeur l’aveuglèrent sur les réalités, notamment sur la puissance des mollahs. Au début des années 1970, il était persuadé que l’ayatollah Ruhollah Khomeiny n’avait plus aucun partisan en Iran… Ses achats d’armes démentiels ruinaient l’économie, et la répression féroce lui aliénait les laïques comme les religieux. Pour les Iraniens, les dernières années de son règne se résument aux tortures de la Savak, la terrible police secrète, à l’incapacité et la corruption des responsables et aux scandales dans lesquels les membres de la famille impériale (la princesse Ashraf, sa soeur, en premier lieu) étaient impliqués.

Fin 1978, le patron des services secrets français de l’époque, Alexandre de Marenches, comprenant le danger que représentait Khomeiny, alors réfugié dans la région parisienne, alla trouver Mohamed Reza pour lui proposer de le faire expulser de France. Il serait encore plus dangereux ailleurs, répondit le shah, qui ajouta : « Sachez bien que je ne tirerai jamais sur mon peuple. » Marenches répliqua : « Dans ce cas, sire, vous êtes perdu. »

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