Les journalistes se rebiffent

Harcelée par la justice, la presse non gouvernementale organise la résistance. Avec le soutien des ONG internationales.

Publié le 14 octobre 2007 Lecture : 3 minutes.

Politologue très connu dans le monde arabe et rédacteur en chef d’Al-Badil (Alternative), le dernier-né des quotidiens cairotes, Mohamed Saïd Essayed ne cache pas la « profonde joie » que lui inspire le succès « éclatant » de la grève de la parution observée le 7 octobre par vingt-trois journaux égyptiens indépendants ou d’opposition. « En boudant, ce jour-là, les titres de la presse gouvernementale, les citoyens ont exprimé leur solidarité avec la profession et leur aspiration au respect de la liberté et du pluralisme », explique-t-il.
La grève du 7 octobre était la conséquence d’une série de décisions de justice extrêmement sévères visant les professionnels des médias. Le 13 septembre, à la suite d’une plainte déposée par Me Ibrahim Rabii’a Abdel Rasoul, membre du Parti national démocrate (PND, au pouvoir), les rédacteurs en chef de quatre publications (Al-Qarama, Sawt Al-Oumma, Al-Fagr et Al-Doustour) ont ainsi été reconnus coupables par un tribunal du Caire de « diffusion de fausses nouvelles ayant nui à la réputation et à l’intérêt du pays » et condamnés à un an de travaux forcés, 20 000 livres égyptiennes (2 600 euros) d’amende – le maximum prévu par la loi – et 10 000 livres de dommages et intérêts. En fait, ils s’étaient bornés à publier quelques articles critiquant le fonctionnement interne du PND et son rôle dans la mise sur orbite présidentielle de Gamal Moubarak (44 ans), fils et successeur présumé du chef de l’État.
Dix jours plus tard, Anouar al-Haouari, le rédacteur en chef d’Al-Wafd, organe du parti du même nom (opposition libérale), et deux membres de son équipe se sont vu infliger, toujours à l’instigation de membres du PND, une peine de deux ans de prison ferme pour « atteinte au prestige de la justice ». Ils avaient relayé une déclaration, démentie ultérieurement, du ministre de la Justice affirmant que « 90 % des juges égyptiens sont incompétents ».
Le 1er octobre, le journaliste Ibrahim Issa, grand contempteur des murs du sérail, devait comparaître devant la Cour de la sûreté de l’État, une juridiction d’exception théoriquement réservée aux affaires terroristes, pour avoir évoqué des rumeurs persistantes sur la dégradation de l’état de santé d’Hosni Moubarak (79 ans). Finalement, son procès a débuté le même jour, mais devant une juridiction ordinaire. « Le mérite en revient, affirme l’un de ces collègues, aux ONG internationales et aux États-Unis. » De fait, lesdites ONG, notamment Human Rights Watch, n’ont pas ménagé leurs critiques aux autorités égyptiennes, qui, en retour, s’indignent de cette « ingérence inacceptable ».
Pour Reporters sans frontières (RSF), « nous assistons à une véritable campagne de répression contre les publications indépendantes, alors que celles-ci avaient connu, ces dernières années, un relatif répit. Une fois de plus, ce sont les mêmes journalistes, connus pour leur attitude critique envers le gouvernement, qui sont dans la ligne de mire ».
Pourquoi un tel durcissement ? « Obnubilé par sa volonté d’assurer une transition en douceur au profit du fils du président Moubarak, le pouvoir cherche à tout prix à faire taire la presse libre qui s’oppose avec courage à l’instauration d’une république héréditaire », estime Abdel Bari Atwan, le directeur du quotidien panarabe Al-Qods Al-Arabi.
D’autant que l’Égypte est le théâtre d’une grogne sociale sans précédent depuis l’avènement de Moubarak, en 1981. Pour autant qu’on sache, plus de deux cents grèves et sit-in de protestation ont eu lieu depuis le début de l’année. Fin septembre, les vingt-sept mille salariés de l’entreprise publique de textile de Ghazl al-Mahala, la plus grande et la plus ancienne d’Égypte, ont par exemple cessé le travail. « L’écrasante majorité de la population, explique un universitaire cairote, vit dans des conditions déplorables et ne souhaite absolument pas la mise en place d’une dynastie Moubarak. La presse le dit, mais le raïs ne veut pas l’entendre. »

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