Les Bourses africaines s’envolent

Grâce à leurs fortes performances, les places boursières du continent font une percée sur la scène internationale. Pure spéculation ou phénomène durable ?

Publié le 14 octobre 2007 Lecture : 5 minutes.

Trois fois plus que prévu. Oceanic Bank émettra finalement un emprunt de 1,43 milliard de dollars au Nigeria Stock Exchange (NSE), au lieu des 431 millions de dollars qu’elle escomptait lever en mars dernier. La nouvelle, annoncée le 8 octobre, a de quoi satisfaire la sixième banque nigériane. Et la place de Lagos, qui fait une nouvelle fois la preuve de son dynamisme : la capitalisation boursière des groupes qui y sont cotés affiche près de 60 % de croissance en un an. Souvent cité en exemple, le NSE devient le symbole du nouvel intérêt de la presse économique internationale et des investisseurs pour les places boursières africaines. Il est vrai qu’elles sont officiellement les Bourses les plus performantes du monde, affichant des progressions annuelles de 20 % à 100 % depuis plusieurs années. La capitalisation d’ensemble s’est même envolée, passant de 250 milliards de dollars il y a cinq ans à plus de 1 000 milliards cette année.
Porte-étendard de ce développement, le Johannesburg Stock Exchange (JSE) figure désormais dans le Top 20 mondial, entre São Paulo (capitalisation : 1 000 milliards de dollars) et Taiwan (678 milliards). Mais la Bourse sud-africaine, qui représente encore plus des trois quarts des capitaux mobilisés sur le continent, n’est plus la seule à retenir l’attention. Elle doit la partager avec les places du Caire, de Casablanca et de Lagos. Au-delà des performances intrinsèques des marchés financiers, nombre d’observateurs sont attentifs à la bonne santé économique de plusieurs pays africains et convaincus par les réformes en cours, qui se traduisent notamment par la modernisation des secteurs bancaires et financiers. « À plus long terme, nous regardons aussi le développement de la Bourse d’Alger, où la liquidité reste mince, et attendons avec intérêt le lancement de la nouvelle Bourse de Luanda », précise Nicolas Clavel, gérant du fonds panafricain Scipion African Opportunities.

Sonatel représente 46 % de la BRVM
Plus largement, les professionnels observent une sorte de sympathie des investisseurs internationaux – « Il se crée en ce moment un fonds d’investissement par mois pour l’Afrique », note un gérant – pour ces marchés dont les performances ne sont pas liées à celles des Bourses occidentales. Et pour cause. Plus de 90 % des capitaux sont détenus par des particuliers et des institutionnels africains, banques, sociétés d’assurance et fonds de pension en Afrique du Sud et au Nigeria, où ils se développent depuis le vote du Pension Reform Act, en 2004. « Les nouvelles contributions aux pensions de retraites atteignent environ 2,5 milliards de dollars par an, explique Franck Senyo Dewotor, responsable de la recherche Afrique pour le groupe financier Databank. L’essentiel va vers les marchés boursiers. »
Les douze places boursières africaines profitent-elles également de l’embellie ? Pas vraiment. À l’exception des quatre « grandes », les autres sont réservées à quelques spécialistes. Et celles qui sont situées dans les pays francophones – hormis Casablanca – connaissent un succès moindre que la plupart de leurs consurs anglophones. Aucune introduction pour le moment à la BVMAC de Libreville. Une seule entreprise cotée au Douala Stock Exchange, le concurrent camerounais. Le marché algérien est désespérément atone. Même la BRVM d’Abidjan, si souvent vantée en modèle régional puisqu’elle unit tous les pays de l’UEMOA, ne brille pas par son dynamisme. Au gré des entrées et des sorties de quelques entreprises, et malgré une performance d’ensemble plutôt satisfaisante (plus de 80 %, voir ci-dessus), le nombre total de sociétés cotées à la Bourse régionale des valeurs mobilières n’a pas changé depuis cinq ans ! Seulement quelques centaines de milliers d’euros s’y échangent chaque jour, ce qui constitue un handicap vis-à-vis des grands investisseurs, qui aimeraient être en mesure de vendre ou acheter à tout moment.
La BRVM n’est pas un cas isolé. Quelques dizaines de milliers de dollars changent de main chaque jour sur nombre de places africaines. « Parfois, des mois sont nécessaires pour acquérir un titre », commente Roelof Horne, qui gère les 400 millions de dollars des fonds Investec Africa. « Je dis toujours qu’il y a plus de liquidités sur le marché des légumes que sur la Bourse, ajoute Christopher Hartland-Peel, analyste chez Exotix. Pour vendre, cela peut prendre une semaine, car il faut trouver ce qu’on appelle un bloc. » En d’autres termes, il faut partir à la recherche d’un acheteur hors marché, prêt à acquérir toutes les actions vendues. Ce manque patent de liquidités se traduit aussi par une concentration parfois excessive des opérations sur quelques très grosses valeurs. À Abidjan, la Sonatel et ses 3,3 milliards de dollars de capitalisation représentent 46 % d’un marché où une quarantaine de titres sont pourtant cotés. À Casablanca, les sept premières capitalisations pèsent 57 % du marché total, Maroc Télécom représentant à lui seul 21 %. En Égypte, les deux géants du groupe Orascom (construction et télécoms) représentent un quart de la Bourse locale.

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Seulement 2 % du total mondial
Les investisseurs internationaux qui arrivent sur les marchés sont-ils donc condamnés à se contenter de quelques mastodontes ? La généralisation des cotations multiples (permettant à une entreprise d’être présente sur plusieurs marchés), déjà possibles entre l’Afrique du Sud et la Namibie, ou encore entre le Kenya et les pays voisins, fait partie des solutions qui permettront de donner un coup de fouet à la liquidité et au dynamisme des marchés financiers africains. En attendant que ces solutions se mettent en place, l’afflux de nouveaux investisseurs et la rareté des introductions ont pour conséquence logique des hausses vertigineuses. À tel point parfois que le bon sens impliquerait de vendre ses titres. « Au cours de l’année écoulée, l’évolution frénétique des actions au Nigeria, notamment dans le secteur financier, a amené les cours à des niveaux probablement surévalués et qui impliquent une correction à la baisse », explique Franck Senyo Dewotor, de Databank.
Le commentaire vaut tout autant pour la Bourse du Kenya, considérée comme l’une des plus prometteuses du continent. Après s’être envolé au cours des années précédentes, le Nairobi Stock Exchange a lentement dégringolé, perdant 5,3 % au cours des neuf premiers mois de 2007. Un exemple unique en Afrique, de surcroît dans une année très positive pour les autres marchés, mais il pourrait servir de leçon. Roelof Horne se veut positif : « Il est exact que certains marchés, comme le Maroc, le Kenya ou le Nigeria ont l’air surévalué. Mais cela n’empêche pas qu’ils présentent de bonnes opportunités d’investissement. Lagos était déjà surévalué il y a deux ans, mais les banques ne l’étaient pas. Aujourd’hui, ce sont elles qui sont surévaluées. » Christopher Hartland-Peel tient quant à lui à rappeler les perspectives prometteuses qui s’offrent : « Seuls 1 % à 2 % des sociétés cotées en Afrique subsaharienne, hors Afrique du Sud, n’ont pas fait de bénéfices l’année dernière. Mais elles en feront l’année prochaine. Malgré les cours élevés, les investisseurs restent, car ils estiment que les bénéfices continueront à augmenter. »
La meilleure gestion des entreprises, la dynamique de croissance des économies nationales, le regard nouveau que commence à porter la communauté internationale sur le continent sont autant de facteurs qui ne peuvent que jouer positivement sur le développement de Bourses africaines encore jeunes et qui ne pèsent que 2 % de la capitalisation mondiale. Seules trois d’entre elles, Le Caire, Maurice et Johannesburg, appartiennent à ce jour au gotha mondial des Bourses, la World Federation of Exchanges. Une quinzaine d’autres frappent de plus en plus fortement à la porte du capitalisme mondial. Les centaines de nouveaux millions de dollars qui arrivent leur permettront peut-être de l’ouvrir résolument.

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