L’entreprise sur grand écran
Publié le 14 octobre 2007 Lecture : 3 minutes.
A en juger par les sorties en salle de ces derniers temps, on pourrait croire que le monde de l’entreprise fait désormais partie des sujets favoris du septième art. Quelques exemples significatifs parmi bien d’autres
En septembre, en France, La Question humaine, de Nicolas Klotz, évoquait une enquête confiée à un responsable des ressources humaines d’une société internationale dont le patron suspectait son bras droit de perdre la raison. Et 99 F de Jan Kounen, d’après le best-seller de Frédéric Beigbeder, se déroulait au sein d’une agence de publicité dont on critiquait les méthodes consistant à décerveler le consommateur. L’an dernier, Claude Chabrol consacrait de façon transparente L’Ivresse du pouvoir, son avant-dernier film, à l’affaire Elf. Prochainement, fin octobre, le documentariste Jean-Michel Carré montrera sur les écrans français J’ai (très) mal au travail, qui, comme son titre l’indique, s’intéresse aux rapports – difficiles – des Français avec le travail en entreprise.
Même impression côté américain, où, par exemple, juste avant que Michael Moore ne s’attaque aux géants de l’industrie pharmaceutique avec Sicko, sorti en septembre, on avait pu voir comment une société minière tolérait voire encourageait le harcèlement moral dans L’Affaire Josey Aimes de Niki Caro.
Aujourd’hui sort, avec George Clooney en vedette, Michael Clayton, un nouveau film dont les protagonistes principaux sont en fait des entreprises. Une grande firme juridique de New York est chargée de défendre les intérêts d’une société multinationale agrochimique du sud des États-Unis, accusée, à tort selon sa direction, d’avoir provoqué de graves accidents de santé, parfois mortels, chez des fermiers qui ont utilisé un de ses produits. Celui-ci se révèle effectivement très dangereux et risque de faire encore de très nombreuses victimes de par le monde si sa commercialisation continue. Ce dont s’aperçoit l’un des avocats chargés de l’affaire, qui, du coup, « pète les plombs ». Ce qui tourmente bientôt la conscience de Michael Clayton, l’homme de loi chargé de reprendre le dossier pour étouffer le scandale – ce qu’il ne fera pas.
Ce film très efficace et fort bien joué, mais réalisé sans grande originalité et finalement très « politiquement correct », vient-il confirmer que l’entreprise est bien aujourd’hui un des personnages majeurs du grand écran ? L’impression mérite pour le moins d’être nuancée. D’abord parce que ce « personnage » est traité de façon très univoque : il s’agit presque toujours de dénoncer les errements immoraux des sociétés et de la plupart de leurs dirigeants. L’entreprise apparaît ainsi plus comme le support d’une approche idéologique du monde contemporain, d’un combat contre les travers du capitalisme pour simplifier, que comme un « objet » qu’on tente de décrire et de comprendre. Ensuite, on ne regarde l’entreprise le plus souvent que de l’extérieur, comme un « décor » dans lequel ou face auquel agissent les véritables héros des films que sont les individus qui auront à combattre les méfaits réels ou supposés de telle ou telle firme.
Ce n’est donc certainement pas un hasard si les titres des films évoquant l’entreprise sont aujourd’hui régulièrement de simples noms d’individus – comme Michael Clayton. Évoquer comment vit une organisation, comment elle est dirigée, pourquoi elle est ou non performante, quelles sont les techniques de management qu’elle utilise, comment se passe la vie de bureau, quelles sont les motivations des employés comme des dirigeants et les « valeurs » qu’ils défendent, n’est manifestement pas, sauf rare exception, un sujet digne d’intérêt pour les scénaristes et les cinéastes. C’est dommage. Car le septième art se prive ainsi d’explorer sans manichéisme outrancier un univers qui façonne pour une bonne part notre monde contemporain. Un univers, d’ailleurs, dans lequel la majorité des humains passent une bonne partie – souvent même la majeure partie – de leur existence.
