Osvalde Lewat

Documentariste née à Yaoundé, elle vit dans la région parisienne. Son premier long-métrage, Une affaire de nègres, a été présenté au dernier Festival de Cannes.

Publié le 14 septembre 2008 Lecture : 5 minutes.

Il y a longtemps qu’elle ne se formalise plus lorsqu’on orthographie son prénom, il est vrai peu courant, de manière fantaisiste. Elle a même pris le parti d’en rire. Sur une feuille de papier, Osvalde Lewat s’amuse à recenser les différentes façons de la « rater » : « Oswalde », « Hosvald », « Ausvalde »
À 31 ans, cette réalisatrice camerounaise n’est pourtant pas du genre à rire de tout. Elle s’est même fait une spécialité de faire pleurer. À l’instar d’Au-delà de la peine (2003), d’Un amour pendant la guerre (2005) ou d’Une affaire de nègres, son premier long-métrage documentaire sorti sur les écrans en juin, ses films sont souvent sombres. Et toujours engagés. Ils traitent de l’injustice, des traumatismes provoqués par les conflits armés, des crimes d’État
Alors, promis juré, son prochain sera une comédie. Histoire de changer de registre et de prendre du champ après les remous suscités par sa dernière enquête. Le film a été projeté en avant-première le 26 juin, au Club de l’Étoile, à Paris. Quatre mois auparavant, une version télévisée de cinquante-deux minutes intitulée Les Disparus de Douala avait été diffusée sur la chaîne publique France 5. La réalisatrice y raconte l’histoire de neuf jeunes Camerounais enlevés en janvier 2001 par une unité spéciale des forces de sécurité camerounaises chargée d’éradiquer le grand banditisme dans les bidonvilles de la métropole côtière. Ont-ils été exécutés avec près d’un millier d’autres personnes, comme le pensent les ONG ? Seule certitude : sept ans après leur arrestation, personne ne les a revus. Et rien n’a changé dans ce cloaque.

En 2005, cette jeune femme gracile a fait une courte dépression après un tournage de plusieurs mois dans l’est de la RD Congo, au plus fort de la guerre. Elle a fini par en faire des cauchemars : « Mes nuits étaient peuplées de villages du Kivu dévastés, de vieilles femmes racontant avoir été violées par des miliciens armés et drogués », raconte-t-elle. On comprend qu’Osvalde ait aujourd’hui besoin de respirer. De penser à autre chose qu’à des calamités.?Depuis 2003, elle vit dans une paisible commune des Yvelines, dans la grande région parisienne. Loin, très loin du cauchemar congolais.
Née à Yaoundé, au Cameroun, Osvalde a grandi dans une famille marquée par les fréquentes absences de son père, Jean-Charles Lewat, directeur chez Alubassa, une filiale du groupe français Péchiney spécialisée dans la transformation de l’aluminium, à Douala. Lorsqu’elle a 13 ans, sa mère décède et l’adolescente trouve refuge dans les livres, qu’elle dévore, et les films : de Ben Hur, le chef-d’uvre de William Wyler, à La Jeune Fille et la mort, de Roman Polanski, en passant par La Liste de Schindler, de Steven Spielberg
Comme il lui faut quand même prendre sa vie en main, Osvalde décide de devenir psychothérapeute. Mais son père, guère enthousiaste, finit par l’en dissuader. Alors, après le baccalauréat, elle intègre une école de journalisme et, à l’issue de sa formation, en 2000, est recrutée par Cameroon Tribune, le quotidien d’État. Mais la jeune reporter prend très vite conscience des limites du métier. Aux contraintes éditoriales d’un journal où elle se sent à l’étroit, elle préfère la liberté du documentariste. « J’étais très sensibilisée à toutes les questions relatives aux violations des droits de l’homme », explique-t-elle.
Après avoir renoncé au journalisme et avant de s’orienter définitivement vers la vidéo, Osvalde s’était familiarisée avec le documentaire, au hasard d’un stage à l’Institut national de l’image et du son (Inis), à Montréal. En 2000, elle tourne son premier court-métrage, Le Calumet de l’espoir, tourné au Canada avec des Amérindiens. Puis, deux ans plus tard, Au-delà de la peine, un film retraçant la vie de Léppé, le plus vieux prisonnier du Cameroun, condamné à quatre ans de prison en novembre 1969 et qui n’en sortira que trente-trois ans plus tard, en août 2002. À cause d’une erreur administrative !
C’est à cette époque que, lors d’un reportage sur la coopération au Cameroun, elle rencontre l’amour en la personne d’un jeune diplomate français, Luc Hallade. Un mariage et deux enfants plus tard, la petite famille navigue entre sa maison des Yvelines et les diverses capitales où Luc est affecté. En 2004, leur première destination n’a rien d’une sinécure
À Kinshasa, leur villa est mitoyenne de celle du chef de guerre Jean-Pierre Bemba, devenu, l’année précédente, l’un des quatre vice-présidents de la République. Est-ce ce voisinage qui lui donne l’idée de réaliser Un amour pendant la guerre ? « Peut-être, je n’en sais trop rien », élude-t-elle.
Seule certitude, elle n’a jamais envisagé une seconde de se mettre au tricot ni de jouer les ménagères avec ses « collègues » expatriées. Son plus mauvais souvenir congolais ? Ce jour de mars 2007 où, pendant l’assaut des forces gouvernementales contre la résidence de Bemba, un obus pulvérise par erreur une partie de sa maison. Par chance, la famille Hallade avait été évacuée un peu plus tôt.

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Revenue en France au lendemain de cette mésaventure, elle court les festivals, multiplie les conférences et engrange les prix. Cette année, elle a notamment bénéficié d’une belle exposition au pavillon « Cinémas du Sud » du dernier Festival de Cannes, où Une affaire de nègres a été projetée le 19 mai.
La motivation de la réalisatrice tient en quelques mots : « Tant que les lions ne raconteront pas eux-mêmes leur histoire, on n’entendra que la version du chasseur », sourit-elle. De l’information au militantisme politique, il n’y a parfois qu’un pas qu’Osvalde s’abstient soigneusement de franchir. « Je ne sais pas si mon dernier film est politiquement orienté. Il traite d’un sujet social et se veut une réflexion sur la manière dont nos pays s’approprient et pratiquent la démocratie », explique-t-elle.
Malgré ce succès, qu’elle savoure sans exubérance, la jeune femme n’est pas du genre à s’endormir sur ses lauriers. Ses journées sont hyperchargées, mais elle ne s’en plaint pas. Sa soif de connaissance la pousse en permanence à se fixer de nouveaux défis.
Elle devait entamer, cette rentrée, la deuxième année d’un master en management des industries culturelles, option audiovisuel et cinéma, à Sciences-Po Paris. Mais peut-être sera-t-elle contrainte d’y renoncer, au moins provisoirement : elle risque de devoir prochainement plier bagage pour s’installer à l’autre bout de la planète, à Moroni, dans l’archipel des Comores, où son époux vient d’être nommé ambassadeur de France.

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