Vous avez dit « famine » ?

Publié le 14 août 2005 Lecture : 3 minutes.

«Il n’y a pas de famine au Niger », affirmait, le 9 août, le président nigérien Mamadou Tandja sur la BBC. Cela fait pourtant plusieurs semaines que la crise alimentaire qui sévit dans ce pays est à la une de l’actualité, que des images de petits corps décharnés passent en boucle sur les écrans de télévision et que les personnalités étrangères se succèdent au chevet de villages sinistrés. Mais pour le chef de l’État la situation n’est « pas dramatique ». Elle a été « exagérée par l’opposition et les agences des Nations unies ». À l’en croire, « ceux qui parlent de famine sont mus par des intérêts politiques ou économiques ». Et d’ajouter: « Avez-vous rencontré des gens mendiant dans la rue? Vous nous avez vus? Nos corps portent-ils les marques de la faim? »
Ces déclarations, aussitôt reprises dans les médias avec, en regard, des photos d’enfants mourants, ont semé la consternation. Médecins sans frontières, qui a ouvert cinq centres nutritionnels au Niger, accueille chaque semaine plus de 1 200 enfants dans un état critique. Près de 10 % d’entre eux ne pourront être sauvés. Sans compter tous ceux qui meurent en silence, dans les villages et les campements.
Ce n’est pas la première fois que Mamadou Tandja tente de minimiser l’ampleur de la tragédie en cours. En juin dernier, déjà, il confiait sur les ondes de La Voix de l’Amérique qu’il ne souhaitait pas que les donateurs et les journalistes « promènent dans le monde » des images d’enfants souffrant de malnutrition. Cela constitue « une campagne néfaste et pernicieuse contre le Niger », prétendait-il. En réalité, le président ne tolère pas l’agitation politico-médiatique qui entoure la crise, aveu de sa propre impuissance, voire, selon certains, de sa négligence coupable. Le leader de l’opposition Mahamadou Issoufou lui reproche ainsi de n’avoir su « ni anticiper ni gérer la crise ». « Ce ne sont pas la sécheresse ou les criquets qui sont en cause, mais la mauvaise gestion économique du pays et les détournements de fonds publics, tempête le chef de file du Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PNDS). Le président ne peut s’en prendre qu’à lui-même et à son gouvernement ! »
Au Niger, personne ne pardonne au chef de l’État d’avoir attendu la « visite d’amitié » du roi du Maroc Mohammed VI, accouru le 18 juillet distribuer vivres et médicaments, pour quitter son palais présidentiel et se rendre dans les zones sinistrées.
Au Programme alimentaire mondial (PAM), le point de vue se veut plus nuancé. Ses responsables précisent ne pas avoir parlé de « famine », mais seulement de « risque de famine ». Toutefois, « si rien n’est fait dans les semaines à venir, il y en aura bel et bien une. Le but de notre action et de nos appels à l’aide, c’est de l’éviter », souligne Giancarlo Cirri, le représentant du PAM à Niamey. « La situation actuelle résulte avant tout d’un cruel manque de moyens, poursuit-il. Il est criant aujourd’hui, mais il existe depuis dix ans… »
De fait, le montant par habitant de l’aide au développement versée au Niger (environ 17 dollars par personne, soit moins que le Mali et le Burkina voisins, par exemple) est l’un des plus faibles au monde alors que le pays est le deuxième plus pauvre de la planète.
Ce qui, pas davantage que la sécheresse ou les invasions de criquets, n’exonère Tandja de ses responsabilités. Certes, même en temps « normal », un enfant nigérien sur cinq n’atteint pas l’âge de 5 ans. Certes, la communauté internationale a plus que sa part de responsabilité dans le drame nigérien. Mais à l’heure où il ne s’agit plus de distribuer les bons et les mauvais points tant il y a urgence à secourir des vies, les déclarations du chef de l’État ont surpris, dérouté, et même choqué !

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