Consolider les acquis

Après cinq ans à la tête du gouvernement, le Premier ministre Ernest Paramanga Yonli dresse le bilan de son action économique et sociale, et évoque les chantiers à venir.

Publié le 14 août 2005 Lecture : 7 minutes.

Né en 1956 dans la province orientale de la Tapoa, à la frontière avec le Niger, Ernest Paramanga Yonli a été nommé Premier ministre en novembre 2000, en pleine crise sociale et politique à la suite de l’assassinat du journaliste Norbert Zongo. Cinq ans plus tard, le pays est apaisé et il enregistre des taux de croissance parmi les meilleurs de la sous-région. Le chef du gouvernement burkinabè fait le point sur les avancées réalisées au cours des années écoulées et sur les chantiers en cours.
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JEUNE AFRIQUE/L’INTELLIGENT : Vous êtes à la tête du gouvernement depuis près de cinq ans. Quel bilan faites-vous de votre action ?
ERNEST PARAMANGA YONLI : Nous avons tout d’abord consolidé la démocratie. Le pays revient de loin, depuis les turbulences sociales et politiques de 1998, 1999 et 2000. Aujourd’hui, la démocratie burkinabè peut servir d’exemple dans la sous-région et même en Afrique. Mais il y a encore à faire pour renforcer nos institutions, donner davantage de liberté à la presse et aux individus, encourager la libre entreprise… Sur le plan social, le Burkina Faso a fait un bond gigantesque en quatre ans. De 2001 à 2005, le taux de scolarisation a progressé de 43 % à 57 %. Désormais, il nous faut compléter l’accès à l’éducation par celui à la santé. Quant à la croissance économique, elle a été, en moyenne, de 5,5 % sur les dix dernières années. C’est un motif de satisfaction, si l’on rappelle qu’au moment de la dévaluation du franc CFA notre pays était dans la zone rouge. Mais c’est insuffisant : nous visons une croissance annuelle de 8 % à 10 %.

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J.A.I. : Trois ans après l’éclatement de la crise en Côte d’Ivoire, quelles en sont les répercussions sur le Burkina Faso ?
E.P.Y. : Les deux pays ont une histoire et nombre d’aspects culturels en partage. Surtout, ils connaissent une interdépendance économique très forte. La Côte d’Ivoire était notre principal débouché sur la mer. Lorsque la crise ivoirienne a éclaté, tous les analystes prédisaient l’effondrement de notre économie. Mais nous avons pu nous adapter à la nouvelle situation et maintenir la croissance. Grâce au dynamisme et à l’ingéniosité de nos acteurs économiques, nous avons amorti le choc en réorientant notre commerce vers le Ghana, le Togo et le Bénin. La situation a agi comme un détonateur en nous démontrant la nécessité de diversifier nos partenaires économiques. En cela, elle a été, si l’on peut dire, positive.
Aujourd’hui, sur le papier, le corridor ivoirien est ouvert à 100 %, en vertu des accords signés en 2003 entre les deux gouvernements. Mais les opérateurs restent frileux. Sur le long terme et de façon structurelle, le Burkina a besoin de la Côte d’Ivoire. En partie parce que 50 % de notre communauté expatriée y réside, soit 2 à 3 millions de personnes sur 12 millions de Burkinabè. Les transferts de revenus et d’épargne de ces ressortissants représentent entre 15 et 20 milliards de F CFA par an. Parfois plus. Ils contribuent à améliorer notre balance commerciale et notre balance des paiements, et permettent de lutter contre la pauvreté en soutenant directement des dizaines de milliers de familles.

J.A.I. :La croissance a été de 4,8 % en 2004. Elle devrait chuter à 3,6 % en 2005. Pourquoi ?
E.P.Y. : Parce que l’agriculture est le moteur de notre croissance et que, lorsque la pluviosité est mauvaise, comme en 2004, l’économie s’en ressent immédiatement. D’autre part, nous ne sommes pas à l’abri du péril acridien. Des larves de criquets pèlerins ont déjà été découvertes et des essaims ont traversé l’ouest et le sud-ouest du pays. Il est possible que les attaques se renouvellent cette année, ce qui nuirait à la production. Par ailleurs, en tant que pays enclavé, nous dépendons fortement du prix des transports et des hydrocarbures. Dès que le cours du baril augmente, nous enregistrons des surcoûts importants. D’autant que le pétrole est libellé en dollars et que les fluctuations du billet vert affectent sérieusement notre économie. Enfin, l’année 2004 avait été marquée par des investissements importants, liés pour partie à la tenue de plusieurs rencontres internationales, dont le Sommet de la Francophonie. Cette année, le secteur du bâtiment et des travaux publics devrait connaître une croissance moindre.

J.A.I. :Le Burkina est-il condamné à une croissance en dents de scie ?
E.P.Y. : Je crois. Tant que nous resterons dans une monoculture d’exportation – celle du coton -, que le secteur de l’industrie demeurera balbutiant et que le secteur des services ne prendra pas le pas sur le reste de l’économie.

J.A.I. :Justement, le gouvernement encourage activement le développement du secteur privé. Quels sont les marchés porteurs ?
E.P.Y. : Premièrement, l’agriculture et l’agroalimentaire. Nous pouvons accroître encore notre production de coton et de fruits et légumes. Le potentiel est là. Mais, pour cela, il faut renforcer la demande. Cela exige de nouveaux investissements industriels pour capter les capacités additionnelles d’offre de produits agricoles. Deuxièmement, les services : assurances, transports, banques… Notre situation géographique au coeur de l’Afrique de l’Ouest nous permet d’être un carrefour pour les échanges.

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J.A.I. :Reste que le coût des facteurs de production, notamment celui de l’eau et de l’électricité, entrave le développement d’un tissu industriel local…
E.P.Y. : Le prix de l’énergie constitue en effet un handicap majeur. Depuis cinq ans, nous cherchons à limiter la production thermique d’électricité, qui coûte très cher, et nous développons l’interconnexion de notre réseau électrique avec les voisins. Une liaison existe déjà avec la Côte d’Ivoire, jusqu’à Bobo-Dioulasso ; elle sera prolongée jusqu’à Ouagadougou. Nous négocions également l’installation d’une ligne haute tension avec le Ghana. Enfin, nous souhaitons faire de même avec le Nigeria, qui dispose d’un énorme excédent d’énergie. D’ici à 2010, 2015 au plus tard, nos problèmes d’énergie ne seront plus, je l’espère, qu’un lointain souvenir.

J.A.I. :Le gouvernement poursuit sa stratégie de libéralisation. Quelles sont les principales privatisations attendues d’ici à 2006 ?
E.P.Y. : L’Office national des télécommunications (Onatel) sera privatisé d’ici à juin 2006 au plus tard. Et dès le 31 décembre 2005, nous céderons le dernier pan des télécoms encore sous monopole public, à savoir la ligne fixe internationale. Nous allons également ouvrir, en 2006, le capital de la Société nationale burkinabè d’électricité (Sonabel) et de la Société nationale burkinabè des hydrocarbures (Sonabhy). Toutefois, l’État restera présent à un niveau important, car il s’agit de secteurs stratégiques pour notre développement.

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J.A.I. :Le G8 a confirmé l’annulation de la dette multilatérale de dix-huit pays, dont le Burkina Faso. Comment comptez-vous utiliser les ressources dégagées ?
E.P.Y. : L’encours de notre dette multilatérale représente près de 80 % de notre dette totale, qui est d’environ 1,9 milliard de dollars. Mais nous ne connaissons pas encore les modalités de la mesure prise au G8. Serons-nous libres d’injecter les sommes disponibles dans les priorités que nous nous sommes fixées ? Quoi qu’il en soit, si l’annulation de la dette multilatérale est une bonne chose, il reste à trouver un vrai mécanisme de financement du développement des pays pauvres. Là est le véritable enjeu. Il existe des initiatives comme celle du président Chirac ou du Premier ministre Tony Blair. Il faut en débattre.

J.A.I. :On parle beaucoup de la faible « capacité d’absorption » des pays pauvres, c’est-à-dire de leurs difficultés à dépenser et utiliser efficacement l’aide qu’ils reçoivent…
E.P.Y. : Il y a du vrai. Il existe deux raisons principales à cette faiblesse. Tout d’abord, la multitude et la lourdeur des procédures d’obtention et de gestion des financements d’un bailleur de fonds à un autre. Cela absorbe trop de temps, de travail et de ressources humaines. Deuxièmement, nos capacités d’exécution des projets sur le terrain sont insuffisantes. Elles doivent être améliorées. Au-delà, on entend dire par certains qu’il ne faut pas annuler la dette des pays africains, car l’argent ainsi dégagé n’est pas utilisé à bon escient. Cette généralisation est abusive. Je lance un défi à quiconque de venir dire quel projet, au Burkina, n’a pas été exécuté parce qu’on a détourné l’argent. Cela ne s’est jamais produit. Rappelons que les quatorze pays africains bénéficiaires de cette annulation de dette n’ont pas été sélectionnés au hasard ! Ils étaient arrivés au point d’achèvement de l’initiative PPTE, c’est-à-dire qu’ils avaient déjà rempli un certain nombre de conditionnalités de bonne gouvernance économique.

J.A.I. :Hormis l’élection présidentielle du 13 novembre, l’autre enjeu politique majeur des mois à venir est celui des élections municipales de février 2006. Elles marqueront l’aboutissement du processus de décentralisation au Burkina. Pouvez-vous nous en retracer les grandes lignes ?
E.P.Y. : La décentralisation est notre priorité depuis le retour à la démocratie en 1991. L’expérience des autres pays nous ayant montré que c’est un processus difficile – il ne suffit pas d’avoir des conseils élus, il faut qu’ils aient les capacités d’exercer leur pouvoir -, nous avons choisi une démarche progressive. Jusqu’à présent, nous avons travaillé uniquement sur les communes urbaines, qui sont au nombre de 49. À partir de février 2006, la décentralisation sera intégrale. L’ensemble du territoire sera découpé en plus de 350 communes. Leurs prérogatives ont été définies. Les lois de la décentralisation sont votées depuis 1994 et 1995. Elles ont été relues progressivement, au fur et à mesure de la pratique et de l’apprentissage de la gestion des conseils municipaux. Les communes disposent notamment de l’autonomie de budget. Elles le votent, elles en assurent la mobilisation et l’exécution. Ce sont elles qui élaborent le plan de développement prioritaire, c’est-à-dire qui organisent la gestion et le développement économique de leur territoire. L’État ne fait qu’apporter les moyens nécessaires à leur action.

J.A.I. :Le nerf de la décentralisation, c’est-à-dire le financement des collectivités, est donc assuré ?
E.P.Y. : Depuis 1995, un certain nombre de partenaires, mobilisés au sein d’un « collectif des bailleurs de fonds pour la décentralisation » qui regroupe notamment la France, le Canada, les Pays-Bas, l’Allemagne et l’Union européenne, accompagnent l’État dans ce domaine. Ils vont continuer à le faire.

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