L’État c’est eux !
Le pays, qui accueille pour la première fois les assemblées générales de la Banque africaine de développement, présente un visage politique nouveau. Depuis les élections municipales du 23 avril, ses 350 communes sont dotées de pouvoirs élargis.
Le 31 mai prochain, le Burkina Faso mettra fin à un processus lancé treize ans plus tôt, en 1993. Les conseillers municipaux élus lors des municipales du 23 avril dernier seront alors installés. Une prise de fonction qui ne transformera certes pas le paysage politique du pays. Comme prévu, le scrutin confirme, en effet, la suprématie du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP) au pouvoir. Les dissensions au sein du parti dans certaines agglomérations comme Yako ou Bobo-Dioulasso n’ont pas eu les conséquences redoutées. Selon les résultats officiels provisoires fournis par la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) le 8 mai, le CDP remporte 72 % des sièges de conseillers municipaux et dirigera la quasi-totalité des grandes villes. Par ailleurs, l’Alliance pour la démocratie et la fédération/Rassemblement démocratique africain (ADF/RDA) de Gilbert Noël Ouédraogo, actuel ministre des Transports et ex-représentant officiel de l’opposition qui avait soutenu Blaise Compaoré lors de la présidentielle de novembre dernier, est consacrée deuxième force politique du pays. Mais le parti ne remporte que 9,2 % des sièges
Les autres formations ne sont pas mieux loties. L’Union pour la République (UPR), le Parti pour la démocratie et le socialisme (PDS) et le Parti africain de l’indépendance (PAI) arrivent respectivement en troisième, quatrième et cinquième position, mais avec moins de 700 sièges de conseiller chacun. Le Parti pour la démocratie et le développement/Parti socialiste (PDP/PS) d’Ali Lankoandé, et l’Union nationale pour la démocratie et le développement (UNDD) d’Hermann Yaméogo, le fils du premier président burkinabè, poursuivent, eux, leur déclin en se classant respectivement sixième et neuvième. Quant à l’Union pour la renaissance/Mouvement sankariste (UNIR/MS) de Me Stanislas Bénéwendé Sankara, elle n’a pas réalisé un score à la hauteur de ses ambitions, loin de là. Arrivé deuxième lors de la présidentielle, l’homme à l’illustre patronyme espérait rééditer l’exploit avec son parti Raté. Il n’arrive qu’en dixième position, avec l’élection de 164 conseillers seulement.
Si aucun chamboulement n’est donc à signaler, le scrutin n’en reste pas moins un événement, car il va bouleverser l’organisation territoriale du pays, ainsi que la vie de ses 12 millions d’habitants. Avec l’entrée en vigueur de la « communalisation intégrale », le pays des Hommes intègres achève son processus de décentralisation. Il se dote de 309 municipalités rurales, en plus des 49 communes urbaines existantes, et met à la disposition de sa population une collectivité qui va lui permettre de gérer directement ses propres affaires. Dans leur périmètre d’intervention, les conseillers municipaux auront désormais en charge toutes les questions relatives à la voirie, à la circulation, à la sécurité civile et la protection des biens et des personnes, ainsi qu’à l’environnement. Ils devront, en outre, veiller à la mise à jour des registres d’état civil et prendre toutes les mesures qui s’imposent pour assurer la santé de leurs administrés. Enfin, ils auront pour mission d’élaborer des Programmes de développement communaux destinés à rendre plus cohérentes les actions menées dans le cadre de la coopération décentralisée. L’État se cantonnera pour sa part à un rôle de conseil, d’assistance et de contrôle. Une évolution déterminante, qui doit conduire à « une plus grande responsabilisation de nos compatriotes, ainsi qu’à un renforcement de notre démocratie, qui s’étend désormais jusqu’au village le plus reculé du Burkina », conclut le Premier ministre Ernest Paramanga Yonli.
Autant d’enjeux qui n’ont, pourtant, pas été très bien perçus par les électeurs. Sur les 3,8 millions d’inscrits sur les listes électorales, à peine la moitié (49,12 %) sont allés glisser un bulletin dans l’urne « Il s’agit du taux de participation le plus faible depuis les élections législatives de 2002 », indique Michel Moussa Tapsoba, le président de la Ceni, sans fournir d’autres explications. Plusieurs raisons peuvent être néanmoins avancées. La première a trait au nouveau fichier électoral informatique mis en place l’an dernier. Bien que le scrutin ait été reporté à trois reprises pour le mettre au point, plusieurs personnes ont fait les frais de ses dysfonctionnements. Malgré la possession d’une carte d’électeur, elles se sont vu interdire l’accès à l’isoloir, faute de voir figurer leur nom sur les listes du bureau où elles étaient censées voter. Le nombre de partis en lice a, sans doute aussi, déstabilisé plus d’un votant. De la plus petite formation jusqu’au CDP, chacun a voulu saisir l’occasion de se compter. Au total, plus de 60 000 candidats issus de 73 mouvements se sont disputé les 17 786 sièges de conseillers municipaux à pourvoir. L’offre pléthorique a conduit à la confusion dans les esprits. Elle s’est en outre traduite par une grande indigence des programmes proposés, le plan de bataille des états-majors se résumant, le plus souvent, à descendre en bloc les concurrents.
À cela est venue s’ajouter l’absence de candidatures indépendantes, qui auraient pu drainer les voix des électeurs ne se reconnaissant plus dans les grands partis de gouvernement. En obligeant tous ceux qui souhaitent servir leurs concitoyens à s’affilier à une chapelle, la loi électorale empêche l’émergence de figures affranchies des tutelles partisanes. De là à penser qu’il ne va en résulter qu’une instrumentalisation des nouvelles mairies au profit des stratégies d’appareil, il y a un pas que certains journaux n’ont pas hésité à franchir, instillant dans l’opinion quelques doutes quant à l’intérêt de se déplacer pour aller voter. « [] Les partis politiques font des élections locales leur chasse gardée, craignant sans doute que l’intrusion d’acteurs apolitiques ne leur soit fatale. L’égoïsme des partis traditionnels leur fait perdre de vue le tort qu’ils font à la démocratie », anticipait le quotidien Le Pays dans son édition du 11 avril.
Le moment choisi pour la consultation a pu jouer aussi. Coincées entre deux élections nationales – la présidentielle en novembre dernier et les législatives en mai 2007 – et faute d’une explication suffisante de leurs enjeux, ces municipales pouvaient sembler moins cruciales. Bon nombre d’électeurs ont pu croire que les principales questions engageant l’avenir du pays demeurent du ressort du chef de l’État. Ils ont donc estimé avoir fait l’essentiel de leur devoir de citoyens lors de l’élection présidentielle. La mobilisation avait été, du reste, bien plus élevée, avec un taux de participation de 57,5 %. Blaise Compaoré reconduit, le pays serait, en somme, bien gardé D’autres ont fait le raisonnement inverse, ne voyant dans la mise en place des conseils municipaux qu’une simple reproduction locale de l’Assemblée nationale. Le renouvellement des députés étant prévu pour mai, ils se sont abstenus le 23 avril, estimant que l’heure du véritable choix n’avait pas encore sonné.
Enfin, comme dans tous les scrutins, il y a eu ceux qui pensent n’avoir aucune prise sur la vie politique nationale, quelle que soit l’opinion qu’ils expriment, et ceux qui, sans doute, jugeaient avoir mieux à faire que d’aller voter. La réélection du président, suivie de la reconduction, le 6 janvier dernier, du Premier ministre Ernest Paramanga Yonli, puis le maintien de 22 des 31 ministres sortants dans le nouveau gouvernement ont pu les conforter dans cette opinion. Le résultat des municipales a de quoi leur faire perdre leurs dernières illusions.
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