« Combien t’ont-ils payée, salope ? »

Publié le 14 mai 2006 Lecture : 6 minutes.

« Si tu parviens à contrôler ton corps et tes pulsions sexuelles, alors tu seras un homme, mon fils ! » Malgré une admonestation digne de la poésie de Rudyard Kipling, le juge Willem Van der Merwe a acquitté Jacob Zuma, accusé de viol. Le 8 mai, le président de la Haute Cour de Johannesburg a sauvé l’ancien vice-président de la prison en estimant que la relation charnelle qu’il avait eue avec la jeune femme qui le poursuivait devant le tribunal était consentante. Il ne lui a pas épargné en revanche l’opprobre public, en affirmant qu’il était « totalement inacceptable qu’un homme ait une relation non protégée avec une autre personne que sa partenaire régulière et certainement pas avec quelqu’un qu’il savait séropositif ». Sexe, mensonges et pouvoir : le mélange fait toujours monter la sauce et passionne les foules. Le procès pour viol intenté contre l’ex-numéro deux a ainsi tenu en haleine la population pendant deux mois.
Du dépôt de la plainte contre Jacob Zuma en novembre 2005 au verdict le 8 mai dernier, l’Afrique du Sud n’a eu d’yeux que pour la salle 4E de la Haute Cour de Johannesburg. Signe du caractère sensible de l’affaire, trois juges se sont désistés avant que Willem Van der Merwe accepte au pied levé de présider les séances. L’un s’est déclaré incompétent pour avoir été proche de Zuma pendant la lutte de libération, l’autre, pour la simple et bonne raison qu’il était l’oncle d’un des enfants de Zuma, et le dernier a craint que sa vie personnelle n’interfère sur son jugement, car sa petite-fille venait d’être enlevée et assassinée.
Avant même le début des audiences, l’instruction de l’affaire s’est donc transformée en procès de la violence contre les femmes sud-africaines. À l’extérieur du tribunal, une véritable guerre de tranchée s’est déchaînée entre les organisations qui les défendent et les partisans de Zuma. « Combien t’ont-ils payé, salope ? » clamaient les pancartes que ces derniers brandissaient. « Nous voulons qu’il nous viole », hurlaient ses groupies féminines. Les associations, elles, demandaient le respect de la supposée victime, dans un pays où on dénombre environ 55 000 cas d’abus sexuels chaque année tandis qu’un viol sur neuf seulement fait officiellement l’objet d’une plainte. Et regrettent déjà le verdict d’un procès ultramédiatisé, qui risque de refroidir les velléités des futures victimes à réclamer justice.
Les témoins, les policiers, les prêtres, les psychologues, les sexologues, les sociologues ou les ministres ont été interrogés avec tant d’acharnement que les vingt-trois jours d’audience, d’interruptions de séance et de révélations scabreuses ont presque donné la nausée.
Tous ces témoignages étaient destinés à déterminer si, le 2 novembre 2005, dans la nuit, au domicile de Jacob Zuma, la jeune femme de 31 ans, fille d’un compagnon de cellule de l’ex-numéro deux du pays, avait implicitement demandé à celui qu’elle appelait son « oncle » de satisfaire son désir sexuel – version de Zuma – ou si ce dernier l’avait, au contraire, violée – version de la plaignante dont le nom n’a pas été dévoilé, comme le prévoit la loi sud-africaine. Au terme d’un verdict rendu en direct à la télévision, le juge a donné raison à l’accusé étant entendu qu’« il serait stupide de la part d’un homme surveillé par un policier en armes, avec sa propre fille sommeillant dans une pièce voisine, de réveiller par surprise une femme et de commencer à la violer sans savoir si elle n’allait pas se mettre à alerter la maisonnée ».
La personnalité de la présumée victime – qui a discrètement quitté le pays le 11 mai – a été jugée instable et perturbée. Séropositive, militante de la lutte contre le sida, elle a été abusée sexuellement plusieurs fois pendant l’enfance et à l’adolescence, avant d’accuser par deux fois – et à tort – des hommes de l’avoir violée. La fille de Zuma, Duduzile, 23 ans, a témoigné devant la Cour qu’elle n’avait pas apprécié de voir cette jeune femme dormir chez elle, sentant qu’elle allait tenter de séduire son père.
Les psychologues appelés à la barre par la défense ont également souligné que, contrairement au « blocage » qui l’a empêchée de repousser les avances de son « oncle », la plaignante était totalement consciente pendant le rapport sexuel, puisqu’elle se souvenait que Zuma lui avait demandé s’il pouvait éjaculer en elle, et ce qu’ils s’étaient dit « après le sexe ».
Selon Zuma, elle est arrivée à son domicile en jupe courte, ce qu’elle ne faisait jamais. Ses postures (jambes croisées, la jupe sensiblement remontée sur les cuisses) puis sa tenue, le soir, enveloppée dans un kanga (pagne) sans sous-vêtement, enfin son discours (le manque d’affection dont elle souffrait) l’ont incité à croire qu’elle avait besoin d’un peu de réconfort.
Nul n’ignorait par ailleurs l’attirance de cet homme grand, fort et charismatique pour la gent féminine. Jacob Zuma a huit enfants déclarés. Il a été marié à trois reprises, même simultanément (en Afrique du Sud, on ne peut être marié qu’à une personne au regard du code civil, mais les lois coutumières du pays autorisent la polygamie). Avant que des soupçons de corruption pèsent sur lui, en 2005, et qu’il soit limogé, en juin, de la vice-présidence, il était même sur le point d’en épouser une quatrième, une nièce du roi Mswati III du Swaziland. Ses difficultés financières l’ont empêché de le faire. Les déboires conjugaux de Jacob Zuma – à l’opposé du calme apparent de la vie sentimentale du président Thabo Mbeki, marié depuis trente-deux ans à Zanele – n’avaient donc pas de secrets pour ses compatriotes. Mais s’il survit au deuxième procès qui l’attend en juillet (voir encadré ci-dessous), il devra quand même poursuivre sa carrière politique en ayant, au préalable, étalé ses pratiques sexuelles sur la place publique.
Pour autant, ceux qui ont voulu tuer trop tôt l’ambitieux Zoulou peuvent remiser provisoirement leurs couteaux. Certains seraient morts du lynchage médiatique, d’autres auraient préféré se retirer de la vie politique. Jacob Zuma, 64 ans et une vie de combats derrière lui, a choisi de donner raison au proverbe : « Ce qui ne tue pas rend plus fort. » Il est sorti ragaillardi des longues heures d’audience et, davantage encore, persuadé qu’un destin national s’offre à lui. Ses partisans, dont quelques centaines se sont manifestés bruyamment à l’extérieur du tribunal tout au long du procès, le pensent aussi. Et font craindre aux observateurs que la vie politique sud-africaine s’envenime autour d’une guerre fratricide que le génie d’un Nelson Mandela était parvenu à éviter. Zuma n’a pas gratuitement parlé zoulou pendant son témoignage au tribunal, où l’anglais est habituellement de rigueur. Il n’a pas non plus invoqué innocemment les traditions et les valeurs de son ethnie pour justifier sa relation sexuelle avec la jeune plaignante. Chez les Zoulous, a-t-il affirmé, ne pas honorer une femme qui exprime un désir sexuel est un affront aussi grave qu’un viol. Les organisations de défense des femmes, ainsi que les non-Zoulous, ont modérément apprécié l’excuse. Mais ses partisans, eux, réclament depuis longtemps leur part du gâteau, reprochant à l’ANC d’être kidnappé par les Xhosas, que sont Mandela et Mbeki. Ils ont mis leurs espoirs entre les mains de Zuma pour la candidature à l’élection présidentielle de 2009 et sont déterminés à faire vaincre leur champion.
Les questions soulevées par ses déclarations sur le sida risquent néanmoins d’avoir des répercussions. Zuma ne s’est en effet pas inquiété de la séropositivité de la jeune femme et n’a pas jugé utile de s’en protéger. La « douche » qu’il a prise post-coït – « pour minimiser les risques d’infection », s’est-il justifié devant la cour – restera dans les annales du petit manuel des bêtises dites sur la transmission du virus du sida.
Pour un ancien président du Conseil national de lutte contre la pandémie, le propos a en effet semblé fort léger. Et joue aujourd’hui en défaveur de l’homme innocenté. Quand bien même il n’aurait pas violé sa « nièce », comment un homme qui prétend à la magistrature suprême peut-il agir de manière aussi irresponsable dans un pays où une personne sur huit et 30 % des femmes enceintes sont porteurs du virus ? Jacob Zuma, homme politique habile, a pris la précaution, au lendemain du verdict, de présenter ses excuses à la nation pour ne pas avoir porté de préservatif. « J’aurais dû être plus prudent et responsable. Je poursuivrai le combat contre le sida », a-t-il affirmé. L’acquittement et la perspective d’occuper les appartements de l’Union Buildings de Pretoria valent bien de recevoir une petite leçon de Kipling

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