Chirac et la France
Le cinquième président de la Ve République française est à la fin de son parcours politique, commencé il y a près de quarante ans alors que Georges Pompidou était encore le Premier ministre de Charles de Gaulle.
Cerné dans son palais de l’Élysée par de multiples et redoutables menaces, il est en grande difficulté. Son camp est miné par des tensions qui peuvent conduire à une crise de régime comme la France n’en a pas connu depuis la fin de la IVe République, en 1958.
On parle, à Paris, à propos de « l’affaire Clearstream », d’un « Watergate » à la française, et l’on se demande si Jacques Chirac tiendra jusqu’en mai 2007.
À la mort de Georges Pompidou, le 2 avril 1974, Jacques Chirac avait déjà accédé à la place Beauvau, siège du ministère de l’Intérieur. Il n’hésitera pas longtemps à faire son choix et à trahir son camp, le gaullisme, pour faire élire celui-là même qui, en 1969, avait fait chuter de Gaulle : Valéry Giscard d’Estaing.
Qui l’en récompensa en faisant de lui, à 41 ans, le plus jeune Premier ministre de la Ve République.
Qui était Jacques Chirac en mai 1974, au moment où il franchissait les marches de l’hôtel Matignon ?
Nous vous donnons à lire dans ce numéro un extraordinaire document, resté secret pendant trente-deux ans. Il s’agit d’un long télégramme diplomatique de l’ambassade américaine de l’époque qui brosse, à l’intention de son gouvernement, un très bon portrait de l’homme qui était devenu le numéro deux de la classe politique française.
Ce document rare vient d’être déclassifié ; nous l’avons traduit de l’anglais et le publions dans son intégralité en pp. 30-31. Vous serez ainsi les premiers à le lire.
Jacques Chirac a aujourd’hui 74 ans et il est entré dans la dernière année de son deuxième et (sans doute) dernier mandat. Dans leur majorité, les observateurs s’accordent à dire que ses onze années à l’Élysée ont été stériles : la plupart des réformes entreprises n’ont pas été menées à bien ; le commerce extérieur est déficitaire ; l’État a continué de vivre à crédit, et son endettement, qui n’a cessé d’augmenter, vient d’atteindre la cote d’alerte (67 % du PNB) ; le taux de chômage est l’un des plus élevés de l’OCDE et le rayonnement de la France a beaucoup diminué.
Sa politique étrangère (dont l’africaine) a été confiée – pour services rendus au parti de Chirac – à une personnalité dont le monde entier a découvert avec effarement l’insondable incompétence.
De plus en plus de gens rappellent la prévision de Mitterrand, rapportée par Jacques Attali dans Verbatim : Chirac peut se faire élire après moi. Mais, avec lui comme président, la France deviendra la risée du monde
C’est excessif et, en tout cas, on n’en est pas encore là. Mais la cote de popularité du président et de son Premier ministre est au plus bas : leur gouvernement est secoué par des dissensions qui lui valent les quolibets de la presse et la commisération de l’étranger.
La classe politique française dans son ensemble a beaucoup perdu de son crédit auprès de l’opinion. Ne maintiennent la tête hors de l’eau que quelques hommes et femmes qui affichent leur différence, voire leur singularité (voir pp. 28-29).
Que peut-il se passer dans les jours et les semaines qui viennent ? Le président professe, dit-on, que « aussi longtemps qu’il n’y a pas de solution, il n’y a pas de problème » (sic). Il croit qu’il s’en sortira une fois de plus et triomphera de l’adversité.
L’observateur que je suis est nettement plus pessimiste :
– Pour la première fois de sa carrière, Jacques Chirac ne peut plus ni se faire élire, ni faire élire l’homme ou la femme qu’il aura choisi. Il le sait et tout le monde le sait.
Peut-il seulement empêcher Nicolas Sarkozy (qui l’a déjà trahi il y a douze ans et ne cesse de le narguer) de se faire élire président ? Rien n’est moins sûr.
– Pour la première fois aussi, il n’a plus de parti : celui qu’il a mis beaucoup de soin à rassembler lui a été pris de force par le même Nicolas Sarkozy, qui, de ce fait, s’est imposé à lui (et à l’opinion) comme son successeur, et lui fait avaler couleuvre sur couleuvre.
– Élu il y a seulement quatre ans avec 82 % des voix – score exceptionnel dont il n’a su tirer aucun avantage -, Jacques Chirac est aujourd’hui à la merci des juges, de la presse – et de Nicolas Sarkozy.
Ce dernier a, lui, l’embarras du choix : d’ici à quelques jours ou quelques semaines, avant le 14 juillet, je pense, il sera, en tout cas :
– soit installé à l’hôtel Matignon comme Premier ministre tout-puissant, si le candidat à la présidence qu’il est accepte les risques et les avantages de ce tremplin ;
– soit hors du gouvernement, s’il estime, au contraire, que « la rupture » qu’il veut personnifier est plus favorable à son élection.
Mon opinion est que l’un des deux termes de cette alternative se réalisera plus tôt qu’on ne le pense.
En vérité, la France a commencé à se traîner, à perdre son rang et à douter d’elle-même dès mai 1988. Un François Mitterrand malade entamait alors son deuxième mandat de sept ans, qui a été un mandat de trop : l’affaire Elf et celle des frégates de Taiwan se sont nouées au cours de ce mandat, marqué par les suicides de François de Grossouvre (à l’Élysée même) et de Pierre Bérégovoy.
Sept ans d’un Mitterrand très diminué, plus onze ans d’un Chirac qui n’a jamais trouvé ses marques : c’est beaucoup pour un pays qui a fait de son président, depuis qu’il est élu au suffrage universel, un monarque tout-puissant (sauf pendant les périodes de cohabitation).
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