Sida : la bonne stratégie

Publié le 14 janvier 2008 Lecture : 3 minutes.

« Nous savons ce qu’il faut faire pour stopper le sida. Ce qu’il faut désormais, c’est la volonté de le faire », écrivait Peter Piot, directeur de l’Onusida, le 31 mai 2006 dans Libération. Venant après vingt ans de lutte, cette déclaration est accablante. D’autant que, quelques semaines plus tôt, la Concertation africaine de Brazzaville avait dressé un constat d’échec : 3 millions de nouvelles infections par an, 2 millions de décès, 14 millions d’orphelins, 77 % de malades sans trithérapie, 91 % de femmes enceintes non traitées. Quelles erreurs avaient été faites depuis 1986 pour en arriver là ? Cette question aurait été plus pertinente qu’une affirmation. Résumons l’histoire de ces deux décennies.

De 1986 à 1996, le programme de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) était basé sur la prévention, oubliant – comme souvent en Afrique – que le traitement des malades est indispensable pour tarir une épidémie interhumaine et obtenir l’adhésion des populations. On n’a pas pris le temps, ni les mesures, ni l’argent nécessaires pour renforcer les systèmes sanitaires et former des personnels à cette nouvelle maladie. On a souvent travaillé sur quelques sites de référence ou quelques villes. Et on n’a pas mis en place un système de coordination indispensable des actions médicales, sociales, psychologiques et économiques (sauf peut-être en Côte d’Ivoire en 1993). Enfin, aucune évaluation indépendante des actions entreprises n’a été faite. Bref, en 1996, on constatait l’échec : 20 millions de malades

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De 1996 à 2006, les efforts portent enfin sur le traitement. Le financement va bénéficier de l’heureuse coopération des fonds publics et des fondations privées (notamment celles de Bill Gates et de Bill Clinton), et progressivement de l’appui de l’industrie pharmaceutique. Les programmes sont jalonnés de réunions à l’OMS et aux Nations unies avec créations de l’Onusida en 1996, du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme en 2001, de l’Unitaid (Facilité internationale d’achats des médicaments) en 2005, et du programme « 3 by 5 ». La dernière initiative (Toronto, 2006) est la Stratégie d’accès universel au traitement et à la prévention.
Ces différentes initiatives ont permis de multiplier par 28 les ressources attribuées au sida, qui ont atteint plus de 8 milliards de dollars pour la seule année 2005. Et, malgré tout cela, c’est l’échec constaté en 2006 à Brazzaville, dont nous avons parlé plus haut.

Que faire ? Augmenter les crédits (10 à 12 milliards par an pendant de nombreuses années) comme le demande l’Onusida1 ? Pour certains, on dépense déjà trop et mal2. Mieux vaudrait attendre les audits financiers confiés par le Fonds mondial à des sociétés indépendantes ayant un agent dans chaque pays.
En revanche, la stratégie devrait être largement réorientée3. Le renforcement des structures sanitaires et sociales, en ville et en zone rurale, reste un préalable indispensable qui profiterait pour d’autres maladies. D’autre part, les autorités sanitaires nationales doivent être mieux impliquées dans les décisions et les stratégies qui les concernent ; on pourrait ainsi mieux prendre en compte les conditions sociales et psychologiques et mieux lutter contre les infections rattachées au sida, comme la tuberculose et les autres maladies sexuellement transmissibles. En outre, il est nécessaire qu’une évaluation des résultats soit faite régulièrement en zones urbaines et rurales.
Enfin, deux orientations devraient être privilégiées. D’abord le sida des femmes puisque, actuellement, 60 % des nouveaux cas sont féminins (et même 75 % entre 15 et 24 ans), mais aussi la transmission par le sang et les matériels contaminés qui doit être mieux évaluée et combattue.

1. Peter Piot, dans Lancet 2006, 368 : 526-530.
2. Roger England, dans British Medical Journal 2007, 334 : 344.
3. Dominique Kerouedan, dans Médecine tropicale 2007, 67 : 515-528.

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