Rupture de style à l’Élysée

En lieu et place de la traditionnelle cérémonie des vux, Nicolas Sarkozy a choisi de tenir, le 8 janvier, une conférence de presse. Sur un ton familier et décontracté aux antipodes de celui de ses prédécesseurs !

Publié le 14 janvier 2008 Lecture : 4 minutes.

Dans la rebondissante série sarkozienne « Jamais rien de pareil », on se demandait avec curiosité comment le président français allait appliquer la rupture à sa première conférence de presse. En réalité, c’était déjà une innovation que de renouer, à la place des traditionnels vux à la presse, avec un mode de communication qui n’avait cessé de se raréfier depuis Georges Pompidou pour s’interrompre sous Jacques Chirac. L’entourage des chefs d’État estimait l’épreuve plus périlleuse que profitable
La gageure ne pouvait qu’exciter l’avocat Nicolas Sarkozy, qui n’est jamais plus persuasif que lorsqu’il doit plaider pour lui-même. De Gaulle, c’était la hauteur ; Pompidou, la rondeur ; Giscard regardait la France au fond des yeux ; et Jacques Chirac était le moins à l’aise face aux caméras. Le nouveau style Sarko est celui de la familiarité décontractée. Imagine-t-on l’un de ses prédécesseurs, fût-ce le multiséducteur François Mitterrand, confesser d’une voix d’adolescent pris en faute à propos de sa dernière conquête que, cette fois, « c’est du sérieux », tout en gardant le secret sur le calendrier de la régularisation ?
Comme il l’avait promis, il n’a écarté aucun sujet sensible, à la différence, là encore, des autres présidents, dont les conseillers présélectionnaient les questions jugées indispensables, avec l’accord de journalistes qui avaient ainsi la certitude de les poser. Cela ne marchait pas toujours. Le 21 février 1966, au plus fort de l’affaire Ben Barka, alors que les journalistes avaient enfin l’occasion de connaître l’opinion de De Gaulle, qui les avait convoqués pour une conférence de presse, ils oublièrent simplement de lui poser la question. Le Général, qui n’était pas moins désireux de s’exprimer, dut rattraper la stupéfiante omission en lançant in extremis, avec sa gouaille habituelle et l’il pétillant de malice : « Puisque vous m’avez interrogé sur l’affaire Ben Barka » On imagine l’éclat de rire

Splendeurs rococo
Les journalistes se sont déplacés d’autant plus nombreux pour Sarkozy – plus de six cents, venus d’une quarantaine de pays – que la simple présentation de leur carte professionnelle remplaçait les bristols officiels d’autrefois. Sécurité oblige, les contrôles d’identité commençaient dès les abords de la place Beauvau, où le service d’ordre refoulait galamment les matinales visiteuses du faubourg Saint-Honoré.
Dans la salle des fêtes de l’Élysée, dont les splendeurs rococo fascinent toujours les correspondants étrangers, le spectacle a lui aussi bien changé. Le temps n’est plus où Sarkozy, lorsqu’il était ministre des Finances, avouait ne s’être toujours pas « mis à l’informatique » et l’expliquait par la « fracture générationnelle ». Aux rangées de chaises dorées s’ajoutent maintenant des tablettes pour les ordinateurs. ?On ne se lève plus à l’entrée du président, qui gagne son pupitre sur fond de drapeaux français et européen, après un geste amical de la main au carré des ministres blottis autour de François Fillon.
Apparemment stimulé par l’accumulation des critiques et le fléchissement des sondages, Sarkozy se défend d’emblée en contre-attaquant. Va-t-il trop vite ? C’est qu’il y a urgence et que les Français sont impatients. En fait-il trop ? Il récidive aussitôt par une série d’annonces promises à la une des journaux comme à la relance des polémiques politiciennes. On n’a pas fini de lui reprocher sa boulimie d’action. Son ambition de « tout changer » s’étend désormais non seulement à l’Union européenne, dont il présidera la Commission à partir de juillet, mais à l’ensemble de la planète. Sa déclaration liminaire aux accents messianiques comporte pas moins d’une soixantaine de propositions et objectifs « pour que la France soit l’âme de la nouvelle Renaissance dont le monde a besoin ».
Ne compromet-il pas son image avec sa manière d’afficher sa vie privée ? Ce n’est tout de même pas lui qui demande aux rédactions de lancer leur armée de reporters et de cameramen à ses trousses. Quelles que soient les critiques éditoriales, la presse salue, le lendemain, l’artiste de ce one-man show parfaitement orchestré. On avait attaqué sa « politique de civilisation » en l’accusant de l’avoir empruntée à son inventeur, Edgar Morin. Loin de s’en défendre, il en rajoute en se plaçant sous l’égide du célèbre sociologue, connu pour ses sympathies de gauche, et en faisant de sa formule le thème conducteur de sa politique jusqu’à la fin de son mandat.
Qu’on nous pardonne ici une comparaison iconoclaste. « Vaste entreprise ! » avait opiné de Gaulle en entendant son compagnon Louis Vallon, dans un moment d’ivresse pas seulement patriotique, s’écrier « mort à tous les cons ! ». En termes d’une gravité plus philosophique – mais l’entreprise n’en sera que plus vaste -, Sarkozy promet de s’attaquer à tous les maux de la terre pour « réconcilier tous les peuples entre eux et avec la nature ».

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Champagne et confidences
Après cette envolée présidentielle, les journalistes purent poser leurs questions plus immédiates, jusqu’à l’ouverture bienvenue du traditionnel buffet. Verre de champagne à la main, on échange bisous et confidences, on traque le ministre ou le conseiller de passage sur ce parcours privilégié de la chasse au scoop, exceptionnellement giboyeux ce matin. Des petits groupes agglutinés autour du chef de l’État tendent l’oreille à ses derniers propos avant qu’il ne regagne ses appartements sur un appel de son portable, qui éclaire soudain son visage. Très entourée elle aussi, Fadela Amara décline à sa façon l’offre d’une émission télévisée : « Quand il y aura de l’actualité, et pas quand je dis des conneries. »
Voilà pour la forme de ces nouveaux vux à la mode Sarkozy. Quant au fond Il faudrait écrire le mot au pluriel, car ce sont bien les fonds qui manquent le plus. « Les caisses sont vides », s’est exclamé le président, sans crainte de renchérir sur « l’état de faillite » déjà invoqué par son Premier ministre. La franchise est méritoire, mais l’aveu laisse pantois. Car où trouvera-t-on l’argent pour tenir ces deux heures de nouvelles promesses ?

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