Le bouc émissaire idéal

Publié le 14 janvier 2008 Lecture : 3 minutes.

Tout le monde a oublié que Charles Taylor était ce qu’il convenait d’appeler un « Freedom Fighter » et qu’il était considéré par les Libériens comme un libérateur lorsque la guerre a commencé, en décembre 1989. Le régime de Samuel K. Doe, arrivé au pouvoir en 1980, à la faveur d’un coup d’État sanglant, était la terreur des populations depuis neuf ans. L’armée gouvernementale, exclusivement composée de membres de l’ethnie minoritaire du président (les Krahns) auxquels se sont joints des détenus opportunément libérés, n’était qu’une pitoyable soldatesque qui vivait de rapines. Taylor et ses combattants du NPFL (National Patriotic Front of Liberia) avançaient rapidement sur Monrovia, la capitale.
Il n’avait pas beaucoup de cadres pour diriger les territoires tombés sous son contrôle, pas de police et pas de moyens de communication sérieux. La population était livrée à elle-même, le chaos total et l’indiscipline la règle. Il ne fallait surtout pas que la situation s’éternise ! Il est facile aujourd’hui d’accuser Taylor d’être responsable de toutes les exactions commises dans le pays. Si l’Ecomog (les troupes de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, la Cedeao) n’était pas intervenue, Doe se serait enfui et la guerre se serait arrêtée. Il n’y aurait pas eu treize ans de descente aux enfers.

Taylor était un vrai politicien. Son discours était structuré et cohérent. Il souhaitait sortir son pays du sous-développement et avait de nombreux projets. Il croyait à l’économie de marché et à la libre entreprise. Ce n’était pas un rêveur dogmatique. C’est l’embargo international qui en a fait un chef mafieux. Comment pouvait-il faire autrement ?
Taylor est accusé de crimes commis en Sierra Leone. On lui met sur le dos la paternité de cette guerre. En est-il responsable ? Cela reste à prouver :
– Contrairement au Liberia, qui connaît sinon une guerre de libération du moins un conflit d’alternance, la Sierra Leone est confrontée à une guerre mafieuse qui dissout toute autorité de l’État afin de faire main basse sur les richesses minières.
– Taylor n’avait pas besoin de créer le chaos en Sierra Leone : ce pays était déjà en totale déréliction avant même de sombrer, et les diamants étaient déjà en vente libre ! En revanche, il est exact de dire que les turbulences provoquées par les mouvements de réfugiés et de combattants libériens à sa frontière ont achevé de déstabiliser la fragile Sierra Leone. Comme le génocide rwandais, le Zaïre de Mobutu, ou la crise du Darfour, le Tchad.
– Si Taylor a donné un cadre à des orphelins et à des fils de combattants dans les « Small Boys Units », il n’a pas inventé les enfants-soldats, comme on tente de le faire croire. L’ignoble « dressage au crime, à la haine et à la cruauté » des enfants-soldats s’est pratiqué en Sierra Leone, pas au Liberia. Il n’est pas non plus démontré que les crimes commis au Liberia par ces enfants ont été commandités par leur hiérarchie. Ils sont simplement le produit du chaos et de l’anarchie.

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Le chef rebelle sierra-léonais Foday Sankoh était un psychopathe, un vrai criminel de guerre. Ses fidèles ne résistaient pas à son charisme. C’était un mystique qui donnait l’illusion de la connaissance. Il est possible que Taylor ait entretenu des relations avec lui, mais je doute que le chef du RUF (le Front révolutionnaire uni) ait eu besoin d’un mentor pour commettre ses crimes. Il était incontrôlable et imprévisible. Penser que Taylor ait pu l’instrumentaliser est la preuve d’une grande méconnaissance de ces deux conflits et de ces deux hommes.
Après la mort des principaux criminels sierra-léonais – dont certains n’ont jamais été jugés -, Taylor n’est-il pas devenu le bouc émissaire idéal, « l’idiot utile », qui permet de porter l’attention ailleurs que sur l’inconséquence de la communauté internationale ?
Taylor n’est certainement pas un saint homme, mais il est contre-productif de laisser des postures dogmatiques insulter la vérité.
Les sommes indécentes englouties aujourd’hui pour juger Charles Taylor seraient mieux employées à rénover les systèmes judiciaires des deux pays, partis de peu, réduits à néant.

Patrick Robert est reporter-photographe spécialiste de l’Afrique. Il a « couvert » la guerre civile de la Sierra Leone et du Liberia, où il a effectué de nombreux séjours. Il travaillait pour Time Magazine lorsqu’il a été grièvement blessé à Monrovia en juillet 2003, trois semaines avant que Charles Taylor ne quitte le pouvoir.

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