Vie et mort d’un djihadiste

Publié le 14 janvier 2007 Lecture : 3 minutes.

Rien ne prédestinait Rabee Bacha à devenir le présumé numéro deux du groupe de salafistes-djihadistes neutralisé le 3 janvier près de Tunis et à tomber sous les balles des agents des forces de sécurité. Il était dans son vingt-deuxième printemps (en arabe, rabee signifie précisément « printemps »). Dans la petite ville de Soliman, à 30 km au sud de Tunis, ses anciens camarades d’école et ses voisins n’en sont pas encore revenus. « Il mordait la vie à pleines dents. Je ne comprends pas comment il a pu se laisser embrigader dans le salafisme », confie l’un d’eux.
Avec un père enseignant très respecté dans sa ville, sa famille appartient à la classe moyenne. Cadet d’une fratrie de quatre enfants, dont une fille, Rabee Bacha était un beau garçon, qui sortait avec des filles, buvait et dansait. « À 18 ans, raconte un de ses anciens copains d’école, sa petite amie a ramené de la maison une grosse somme d’argent. Sur-le-champ, ils sont partis faire la fête pendant deux semaines. »
Après le baccalauréat, sa vie bascule. « On ne le voyait plus que très rarement ici, raconte un voisin. On nous disait qu’il faisait des études d’agriculture à Sidi Bouzid. Quand nous l’avons revu, il y a trois ans, c’est à peine si nous avons reconnu le bon vivant d’antan. Il était devenu pieux, renfermé sur lui-même. » Il était « poli comme un ange », confirme un ami de son père.
Les parents, eux, commencent à s’inquiéter sérieusement. À la maison, leur fils s’emporte fréquemment contre les koffars, les « mécréants », un terme dont ils ignorent pourtant qu’il appartient au lexique salafiste. Ils ignorent aussi que, pendant son séjour à Sidi Bouzid, Rabee a rencontré un mystérieux cheikh salafiste aveugle, de retour d’Arabie saoudite. Et qu’il a été subjugué par son discours. Comme Rabee, la quasi-totalité des membres du groupe sont des jeunes issus de la classe moyenne. Le processus d’embrigadement est un peu toujours le même. Tout commence souvent dans une mosquée, où les salafistes s’efforcent de repérer de futures recrues. Ensuite, ils s’emploient à éveiller leur sympathie : on regarde ensemble les chaînes satellitaires religieuses, on écoute des prêches sur DVD… Peu à peu, on en vient à expliquer au jeune la nécessité du djihad. S’il se montre perméable à ces arguments, il est convié à participer à des cercles de discussion. Tout finit souvent dans un camp d’entraînement
Est-ce le cas de Rabee Bacha ? A-t-il fréquenté un camp du GSPC en Algérie ? On le dit, mais l’information n’a pas été officiellement confirmée. Quoi qu’il en soit, le jeune homme était probablement l’adjoint du chef du groupe, Lassaad Sassi, dit « le Mauritanien », originaire de la même région que lui. C’est au nom de Rabee que la voiture utilisée par le groupe a été louée, de même que le studio qui lui a servi de planque, à Hamma Echatt, près de Hammam Lif. Avant le début des fusillades, une jeune femme vêtue d’un burqa se trouvait, semble-t-il, à ses côtés. Elle se faisait appeler Lalla Khadija (le nom de l’épouse du Prophète) et l’assistait pour tout ce qui concerne la logistique. Les jeunes gens avaient l’intention de se marier. On ne sait ce qu’il est advenu d’elle.
Traqué depuis le 23 décembre, Rabee tente, le 3 janvier, de trouver refuge chez lui, à Soliman, avec quatre autres djihadistes. Les forces de sécurité l’y attendent, mais il flaire le piège. Laissant sa mère et sa sur au rez-de-chaussée, il monte sur le toit de sa maison avec « le Mauritanien », installe un fusil-mitrailleur et tire sur tout ce qui bouge, pendant que les trois autres se replient sur une villa en construction, à 1 km à l’extérieur de la ville, où ils seront bientôt abattus par des tirs de roquettes. Rabee, pour sa part, est pris pour cible par un tireur d’élite, qui lui a fait sauter la cervelle. « Maman ! [Ya emmemti] » hurle le djihadiste avant de mourir.
Quelques mois auparavant, il avait raconté à l’un de ses anciens camarades un rêve étrangement prémonitoire : « Il nous a dit qu’il se trouvait sur la terrasse de la maison, qu’il tirait sur des mécréants et que ceux-ci avaient fini par le tuer. Abou Moussab al-Zarqaoui [l’ancien chef d’al-Qaïda en Irak] était alors venu le chercher sur son cheval blanc et l’avait emporté dans le ciel. » Quel gâchis !

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