Saladin ne reviendra pas
À titre personnel, je considère que l’exécution de Saddam Hussein fut consternante sur le plan moral, désastreuse sur le plan politique, aussi bien pour les États-Unis que pour les Irakiens et les Arabes en général. Condamner cet homme à mort et le pendre, dans des circonstances barbares, relève d’un rituel macabre de vengeance, d’un acte de guerre, parmi d’autres, dans un pays ravagé par la « violence sectaire », pour reprendre l’euphémisme officiel américain
Je n’ai vu aucune justice. J’ai vu la loi du talion.
Le problème n’est pas le sort de Saddam Hussein en soi. Saddam était un dictateur, un chef de guerre, un pur produit de la violence orientale. Il a régné près de trente ans par le sabre, il a mené son pays à l’invasion, à la ruine. Et comme le dit l’un de mes amis journaliste algérien, il a participé activement à la régression du monde arabe tout au long de ses années de pouvoir. Saddam, paix à son âme, était, excusez-moi du terme, un véritable salaud.
Mais ce n’est pas une raison. Je suis contre la peine de mort. Par conviction et parce que je crois que le chemin vers la civilisation c’est justement de renoncer à tuer pour punir. Je considère ensuite que le procès de Saddam a été bâclé, mené par une justice locale aux ordres et par une force d’occupation américaine qui a envahi l’Irak en dehors de toute légalité. Je ne comprends pas que la justice internationale puisse s’appliquer en Bosnie, en ex-Yougoslavie, au Rwanda, et pas en Irak. Je constate, comme par hasard, que l’on décide, en pendant cet homme, de clore le débat sur son règne, sur les massacres, les complicités, les amitiés troubles, les programmes militaires et nucléaires. Je constate enfin qu’en faisant tuer Saddam par des sbires encagoulés on accentue les divisions et les fractures de l’Irak, on pousse un peu plus ce pays vers l’abîme.
Mais le plus consternant c’est de voir des foules, manipulées par des islamistes (qui furent les plus acharnés de ses ennemis), des extrémistes, des pseudo-nationalistes, transformer le dictateur en martyr. Saddam est mort avec un courage indéniable, mais si Saddam est un héros de la cause arabe, c’est que les Arabes ont atteint le fond
Saddam, ce n’est pas la victoire, mais la violence et la défaite. Cette fascination pour l’homme providentiel, « debout face aux sionistes et à l’Amérique », ne fait que souligner l’impuissance et l’absence de solutions. Le vide et l’illusion
Les vrais héros arabes seront ceux qui diront la vérité à leurs peuples, qui les libéreront du poids du passé, privilégieront le développement, le progrès, l’accroissement des libertés, la modernisation des sociétés. Ceux qui les feront entrer modestement dans le siècle, en renonçant aux fantasmes.
Saladin était d’un autre temps, d’une autre trempe, et il ne reviendra pas. Ce dont les Arabes ont besoin aujourd’hui, c’est d’Averroès et d’Ibn Khaldoun.
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