Ciné-panorama

Publié le 14 janvier 2007 Lecture : 4 minutes.

Le programme 2006 des Journées cinématographiques de Carthage (JCC) l’atteste : présent en force avec 10 longs-métrages et 22 courts-métrages, le cinéma tunisien semble recouvrer sa santé. À preuve aussi, la production annuelle de 5 longs-métrages et de 15 courts qui fait pressentir l’éclosion d’un « nouveau cinéma tunisien ». Le soutien financier du ministère de tutelle est réel, dans un pays où l’État n’a jamais été pingre avec le septième art et où les artistes peuvent bénéficier d’une « subvention », d’un « complément de subvention » et d’une « aide à la finition », le cinéma étant presque devenu en Tunisie un service public. La télévision s’est dotée d’un organe de régulation, l’Anpa (Agence nationale de la promotion artistique), une structure également en charge de la promotion et, accessoirement, de la production. Le partenariat avec la RTT (Radiotélévision tunisienne) pourrait être renforcé par les futures chaînes privées, Nesma TV et Tunis Télévision 1 (TT1).
Par ailleurs, le cinéma tunisien renoue avec les spécificités qui l’ont toujours distingué : la profusion et la diversité des sujets, la liberté de ton et l’absence de censure préalable. « Depuis 1956, l’État a protégé la création et aucun pouvoir n’a tenté de restreindre a priori l’acte de créer, affirme le producteur Ahmed Attia. La censure peut venir après, mais personne n’interfère dans l’uvre en cours. » Le public, grand garant du succès de cet art, est à la fois tolérant et exigeant, accepte des images difficilement exportables dans une région arabe où la liberté de murs est absente et les tabous vivaces.
Toutefois, ce paysage audiovisuel, bien portant en apparence, souffre de carences profondes. Financières, d’abord. S’il existe incontestablement une politique culturelle et un soutien actif du ministère de la Culture, les budgets restent insuffisants et la coproduction avec l’Europe est quasiment inexistante. Par conséquent, le film reste une initiative personnelle, où il faut se battre pour chercher des sources de financement, tourner des films comme des téléfilms, dans des délais très courts (à l’instar de Jilani Saadi dont La Tendresse du loup vient d’être bouclé en quatre semaines seulement), voire abandonner un tournage faute de moyens (c’est le cas du dernier film de Mahmoud Ben Mahmoud, resté en souffrance pour une somme manquante de 250 000 euros).
Si la Tunisie possède de bons techniciens, il lui manque cependant les moyens techniques pour réaliser des films ambitieux. La Satpec (Société des artistes tunisiens producteurs) a fait faillite en 1990. Depuis, l’absence d’infrastructures est flagrante, les moyens des prises de vues et de mixage n’existent presque pas, et les Tunisiens sont obligés d’aller fabriquer leurs films au Maroc ou ailleurs faute de laboratoires appropriés (voir ci-après l’interview de Moncef Dhouib). Plus grave, s’il y a pléthore de producteurs (on en recense plus de 500), rares sont ceux qui sont véritablement du métier. Selon Najib Ayad, producteur et président du Festival international du film pour l’enfance et la jeunesse, « n’importe qui peut se déclarer producteur sans attestation, ni certificat d’aptitude, ni même autorisation. Il suffit de signer un cahier des charges et de disposer d’un local avec des sanitaires. »
De fait, encouragés, il y a une dizaine d’années, par le ministère, nombre de réalisateurs ont reçu l’agrément pour devenir producteurs. « C’est le mauvais côté du cinéma tunisien, analyse le producteur Mohamed Charbagi, installé en France. Un réalisateur ne peut pas chercher l’argent, le gérer et s’occuper en même temps de la création et du montage. On ne peut être à la fois chef d’orchestre, compositeur et premier violon. » Ainsi, de 1995 à 2003, le cinéma a plongé, le niveau artistique a baissé et le marché intérieur a disparu. Des petits producteurs se sont reconvertis à d’autres métiers comme Abdelaziz Ben Mlouka, Najib Ayad ou Najib Belkadhi. Aujourd’hui, avec 99 % de réalisateurs producteurs de leurs films, le nombre de longs-métrages augmente, mais la qualité est toujours menacée : « La liberté des réalisateurs n’est plus la même. Obligés de louvoyer pour obtenir de l’argent, ils doivent être politiquement corrects. Très peu de cinéastes sont restés de vrais auteurs », conclut Najib Ayad.
Autre plaie du cinéma local : le manque flagrant de salles. On évalue à 14 le nombre d’écrans fréquentables, alors qu’on en comptait 106 en 1956 ! Il existe seulement trois salles à Sfax, pourtant deuxième ville de Tunisie, une salle à Bizerte et une à Sousse. Enfin, si une première organisation du secteur s’est faite à la fin des années 1990 avec la création de l’Anpa, celle-ci, censée être l’intermédiaire entre la télévision et les producteurs, est devenue productrice elle-même, et le financement qui devait être investi dans la fiction le fut dans les variétés : « Nous avons demandé que l’Anpa soit indépendante de la RTT, déclare Najib Ayad, nous avons eu satisfaction, sauf que cette structure n’a plus d’argent et nous ne savons pas de qui elle va dépendre précisément. »
Pour la qualité et la pérennité du cinéma tunisien, il faudrait, selon les professionnels du secteur, lui donner un environnement juridique adéquat, organiser et hiérarchiser le métier de producteur, faciliter l’achat de terrains aux investisseurs locaux et étrangers désireux d’ouvrir des multiplexes, créer des laboratoires comme l’ancienne Satpec, qui rétabliraient une véritable activité cinématographique dans le pays. Enfin, pour que l’exploitation, la distribution et la production puissent fonctionner, les cinéastes appellent de leurs vux la création d’un Centre national du cinéma (comme il en existe en Algérie, au Maroc ou en Égypte), qui constituerait une interface entre l’État et la profession, réorganiserait le secteur (prestations de service, billetterie, lutte contre le piratage, etc.), reformulerait l’esprit des commissions d’aide et de contrôle, et gérerait les festivals comme les JCC. Vaste programme !

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