Susheela Raman, le chant de la sirène

Avec « Music for Crocodiles », la belle Anglo-Indienne signe un nouvel album à son image, nourri de sonorités métissées et épicées.

Publié le 13 novembre 2005 Lecture : 3 minutes.

Piquante… voire mordante. Ainsi paraît Susheela Raman, un petit bout de femme de 32 ans qui déborde de vitalité. Née en 1973 à Londres, où ses parents tamouls avaient émigré, elle grandit en Australie. Sa passion pour le chant se révèle de bonne heure. Un don que sa mère développe en l’initiant à la musique traditionnelle carnatique, la musique classique de l’Inde du Sud.
À 14 ans, Susheela découvre le rock. Un genre éloigné de ses racines, mais qui la séduit. Fervente admiratrice de Billie Holiday, Prince et Jimi Hendrix, elle entreprend de métisser pop, funk, jazz et musique indienne, de cimenter ses errances culturelles.
Ses mélodies ne rencontrant pas d’écho favorable en Australie, Susheela quitte Sydney en 1997 pour Londres, où elle panse ses plaies aux côtés de Sam Mills, guitariste et producteur anglais. Sam, qui s’est illustré au sein du trio Tama, est aussi un faiseur de talents, qui a fait connaître le maître bengali Paban Das Baul et lui a ouvert les portes du succès. C’est donc une alliance déterminante pour la jeune Anglo-Tamoule – ils sont aujourd’hui mariés.
En 2001, elle surprend les mélomanes avec Salt Rain. Un premier album servi par sa voix puissante, mais aussi par des paroles qui s’élèvent contre la violence pour célébrer l’amour et la paix entre les hommes. On y retrouve le parcours atypique d’une nomade, qui va de l’Inde à l’Europe en passant par l’Afrique – qui est « probablement, ajoute-t-elle amusée, la terre de mes ancêtres. À chaque fois que je mets les pieds à Addis-Abeba, on me prend pour une Éthiopienne, avec ma tignasse et mes gammes orientales. » Love Trap, le titre de son second disque, est l’adaptation d’une chanson de l’Éthiopien Mahmoud Ahmed.
Susheela s’épanouit en mariant les genres musicaux. Elle s’entoure du joueur de tabla indien Aref Durvesh, du bassiste camerounais Hilaire Penda, du percussionniste guinéen Djanuno Dabo, du violoncelliste français Vincent Segal et du virtuose de l’orgue Hammond malien Cheikh Tidiane Seck. Toutes ces énergies évoluent sous l’ordre d’une voix accomplie, souple et expressive. L’artiste revisite également le patrimoine de la culture indienne.
Les critiques se déchaînent contre la Tamoule sexy qui préfère les tenues suggestives en cuir et les bottes au haïk de ses ancêtres. Et qui ne croit pas à la réincarnation, même si l’idée lui paraît romantique ! À ceux qui l’accusent de jouer les provocatrices : « Je n’étais pas née quand on a inventé le Kama Sutra, n’en déplaise aux censeurs ! réplique-t-elle avec un sourire. Alors, puisque la musique ressemble à une fille dévergondée, qu’on laisse chacun la modeler à son gré ! »
Sur la pochette de Music for Crocodiles, on voit la chanteuse les pieds dans l’eau, au bord de la mer, à Madras. Elle semble inviter le monde à l’écouter. C’était avant les ravages du tsunami et ses innombrables morts : « Je préfère fermer les yeux sur ces horreurs et chanter les nuits d’amour. Ceux qui ont fréquenté ces plages magnifiques les garderont à jamais dans un coin de leur mémoire. »
Si What Silence Said exprime un sentiment d’impuissance face à la perte d’un être cher, Music for Crocodiles évoque le son singulier qu’émettent ces reptiles et que l’on peut entendre dans le sanctuaire naturel qui entoure Madras, aujourd’hui appelé Chennai.
Nourri de sonorités hindi, françaises et africaines, ce troisième album fait oublier le succès mitigé de Love Trap. Pourtant, ses fans ont bien failli perdre leur sirène. À 21 ans, à la suite d’une rupture sentimentale, celle dont le nom signifie « vertu » en langue tamoule perd la voix. Impossible de chanter pendant un an. Elle retrouvera l’usage de ses cordes vocales auprès de la chanteuse de musique hindoustanie Shruti Sadolikar. Cette expérience l’a mûrie : « Depuis, confie-t-elle, je fais tout avec modération. »
Elle chante en anglais, en sanskrit (une langue indienne), mais également en français dans sa dernière livraison. Une façon de remercier ceux qui lui ont offert un disque d’or en 2001. Elle y interprète les paroles du poète afghan Barmak Akram, exilé à Paris : « Je sors de moi, je vole au-dessus des villes, de voyage en voyage, d’exil en exil… ». Une écriture à l’image de sa vie.

Music for Crocodiles (Virgin).

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