Le ciel africain très convoité

Les compagnies internationales livrent une concurrence de plus en plus vive aux opérateurs locaux.

Publié le 13 novembre 2005 Lecture : 5 minutes.

« Air France se comporte comme Attila. Elle prend tout sur son passage. Et pas question pour les petites compagnies africaines de se rebiffer… Sinon la diplomatie française se met tout de suite en action », se lamente un dirigeant de société aérienne d’Afrique de l’Ouest. Un peu plus d’un an et demi après son mariage avec KLM, le transporteur « bleu, blanc, rouge » affiche des résultats en forte progression. Rien que pour le mois d’août dernier, la compagnie a annoncé une hausse de 8,3 % de son trafic vers l’Afrique et le Moyen-Orient. Air France et ses consoeurs – British Airways, Iberia, Swiss, Lufthansa et SN Brussels – ont transporté plus de 73 millions de personnes en 2003 sur la destination Afrique, ce qui représente environ 70 % du marché. Les perspectives d’évolution du trafic africain sont très alléchantes : plus de 6,5 % par an sur les cinq prochaines années contre 5 % en moyenne mondiale.
Ce qui n’empêche pas les majors de s’inquiéter de la montée en puissance de compagnies émergentes qui profitent du développement des échanges entre les continents africain et asiatique. Symbole de ce développement, les réussites d’Emirates Airlines, de Qatar Airways et de Singapour Airlines. Emirates représente une menace redoutable pour les majors occidentales. Dès 2008, la compagnie aérienne de Dubaï disposera d’une flotte long-courrier supérieure à celle de la Lufthansa. Son succès est essentiellement économique même si les dirigeants des compagnies européennes l’accusent de fonctionner grâce aux subsides de la famille régnante de Dubaï, les al Maktoum, qui détient la totalité de son capital. Emirates dessert aujourd’hui 76 villes dans 54 pays, dont 10 destinations africaines. À l’horizon 2012, elle alignera 151 gros-porteurs d’une capacité de 33 millions de passagers par an. D’où l’extension du hub de Dubaï, qui pourra accueillir, à partir de 2010, 70 millions de voyageurs par an, une capacité supérieure à celle de Londres-Heathrow. Au total, le carnet de commandes d’Emirates représente 30 milliards de dollars pour 97 appareils, à raison d’une livraison par mois pendant huit ans, dont 30 Boeing B-777-300, 20 Airbus A-340-600 et 45 A-380, soit 30 % du carnet de commandes d’Airbus !
Dans les discours, les dirigeants des transporteurs africains condamnent de concert la mainmise grandissante des sociétés étrangères sur l’espace aérien du continent. Les compagnies africaines n’ont fait voyager que 33 millions de passagers en 2003, soit à peine plus de 30 % du marché. À quelques exceptions près, la majorité des compagnies nationales traverse une passe difficile. Symbole du cauchemar aérien africain, Air Gabon et Camair, qui accumulent les déboires et les mauvais résultats (voir page 112). Tombé en faillite, Nigeria Airways n’existe plus. Elle a été remplacée par Virgin Nigeria, fondée par le britannique Richard Branson, propriétaire de Virgin. Quant à Ghana Airways, elle accumule un passif de 160 millions de dollars et devrait être « liquidée » prochainement.
Dans la pratique, les transporteurs africains peinent à s’organiser et à se structurer pour répondre aux défis de la mondialisation. D’abord, par manque de moyens financiers et techniques. Les compagnies ne disposent pas des ressources pour accéder aux données du Market Intelligence Data Tapes (MIDT), qui sont essentielles pour établir une stratégie commerciale. Ces informations, établies à partir des systèmes de réservation des grandes compagnies, permettent de connaître le profil des clients, le remplissage des vols, les résultats de la concurrence… Or elles sont extrêmement onéreuses pour les transporteurs du continent. Autre problème : les modestes dimensions de leurs compagnies ne permettent pas aux transporteurs africains de bénéficier des créneaux horaires les plus intéressants sur les aéroports européens. « Souvent, on prend les plages horaires qui restent. On nous relègue sur les aires de stationnement les plus éloignées des terminaux », explique Christian Folly-Kossi, secrétaire général de l’Association des compagnies aériennes africaines (Afraa).
Les seuls pavillons qui tirent leur épingle du jeu sont ceux qui ont su unir leurs forces pour défendre leurs intérêts face aux majors… ou qui en ont fait des partenaires plutôt que des concurrents. Kenya Airways a ainsi retrouvé des couleurs depuis son mariage réussi avec la néerlandaise KLM et sa prise de participation dans la petite compagnie tanzanienne Precision Air. Tanzania Airways se porte mieux depuis l’entrée de la SAA dans son capital. Ces nouveaux liens permettent de rationaliser les fréquences et de remplir les avions. Parmi les compagnies nationales qui font « cavalier seul », Ethiopian Airlines est la seule qui prospère. Créée en 1946 avec l’appui de l’américaine TWA, elle a acquis un professionnalisme, une qualité de service et de sécurité aujourd’hui reconnus. En laissant peu de liaisons aux compagnies étrangères, l’Éthiopie a également su préserver l’activité de sa compagnie nationale.
Les compagnies d’Afrique du Nord – Egyptair, Royal Air Maroc, Tunisair et Air Algérie – bénéficient, quant à elles, de la manne touristique et des voyages des émigrés. La RAM fait figure d’exemple avec ses 3,7 millions de passagers transportés en 2004 et le lancement récent d’Atlas Blue, une compagnie low cost (transport à coût réduit), sans oublier la belle aventure d’Air Sénégal International (ASI). Lancé en 2001, le joint-venture maroco-sénégalaise a accompli jusque-là un parcours sans faute. En 2004, ASI a réussi la prouesse de transporter plus de 1,23 million de passagers. Beaucoup, ailleurs sur le continent, seraient inspirés de suivre l’exemple d’Air Sénégal International, ce type de rapprochement entre États étant sûrement le plus sûr chemin vers la rentabilité. La RAM tente actuellement de reproduire ce modèle en Afrique centrale.
Le modèle low cost, qui est déjà pratiqué en Afrique du Sud, au Maroc, en Égypte et au Nigeria, semble promis à un bel avenir. Mais il n’est pas viable si l’on ne dispose pas d’un marché important, comme en Afrique du Sud et au Maghreb, pour faire des économies d’échelle.
Ce qui explique certainement que l’Afraa donne la priorité aux projets de partenariat ou d’alliances stratégiques. Les résultats encourageants d’Air Burkina et d’Air Sénégal International offrent tous les ingrédients pour définir les modèles africains : une combinaison entre petites compagnies locales pour desservir le réseau intérieur et alimenter des hubs régionaux (carrefours d’échanges au niveau des liaisons aériennes) d’où partiraient les vols moyen-courriers ou long-courriers proposés par des compagnies de taille moyenne. Un tel choix permet de mettre en service des avions gros-porteurs (A-300-600, B-767 ou B-747, ou leurs successeurs), les seuls à même d’offrir des tarifs abordables tout en assurant la rentabilité de l’activité. Au préalable, des accords politiques devront être conclus, et surtout appliqués, entre les États du continent pour que les droits de trafic soient mis dans le pot commun et pour que l’on se préserve, au moins au début, de la féroce concurrence livrée par les pavillons étrangers. Cette question sera une nouvelle fois abordée les 14 et 15 novembre à Sun City à l’occasion de la 37e assemblée générale de l’Afraa. Un mois plus tard, les directeurs généraux des compagnies aériennes du continent et des responsables de la Banque africaine de développement (BAD) se retrouveront à Tunis pour trouver des solutions afin d’améliorer la sécurité arienne, renforcer les compagnies continentales, les moderniser et leur permettre d’accéder aux emprunts bancaires. Vaste chantier…

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