La malédiction du second mandat

Depuis sa réélection, le président accumule les déboires. Avant lui, Reagan, Bush père et Clinton avaient connu la même mésaventure.

Publié le 13 novembre 2005 Lecture : 5 minutes.

Si l’élection présidentielle du 2 novembre 2004 qui a permis à George W. Bush d’entreprendre un second mandat avait lieu cette année, le président sortant aurait été battu – et même balayé (40 % des voix contre 55 %) – par son challenger démocrate, quel qu’il fût. C’est ce qui ressort d’un sondage USA Today/CNN/Gallup réalisé fin octobre.
Un autre sondage de même source montre que depuis « l’inauguration », c’est-à-dire depuis sa nouvelle entrée officielle en fonctions, au mois de janvier, le pourcentage global des opinions favorables est tombé de 52 % à 42 %.
Même chez les républicains, qui l’appuyaient à 92 % l’an dernier, la chute est de 8 %. Chez les démocrates, où l’on ne comptait que 17 % d’opinions favorables, on n’en recense plus que 11 %. Chez les Blancs, le recul est de 11 % (de 57 % à 46 %). Il est de 8 % chez les Noirs (de 20 % à 12 %) et de 13 % chez les Hispaniques.
Dans les classes moyennes, où la popularité de Bush était grande, la déception est également très marquée : moins 15 % d’opinions favorables chez les électeurs qui se sont arrêtés aux études secondaires, et moins 14 % chez ceux qui gagnent entre 20 000 et 30 000 dollars par an.
Comparée à celle de ses prédécesseurs, l’image de Bush est particulièrement mauvaise. Selon Gallup, 53 % des Américains interrogés au lendemain de la défaite de son père, interdit de second mandat en 1992, estimaient qu’il avait été un bon président. Ronald Reagan au temps de l’Irangate faisait lui aussi meilleure figure. Et si controversé qu’ait été le personnage de Bill Clinton, jamais une majorité d’Américains n’a considéré que sa présidence avait été un échec. Le pourcentage d’opinions favorables s’est même renforcé pendant le Monicagate et la campagne menée pour son impeachment.
En août dernier, en revanche, 51 % des Américains interrogés jugeaient que la présidence de G. W. Bush était un échec. Commentaire d’une pollster (« enquêtrice ») démocrate : « Clinton n’était pas un mari fiable, mais il menait bien sa barque. Avec Bush, c’est la manière même dont il s’acquitte de ses fonctions qui est contestée. »
Au cours des derniers mois, le président a multiplié les bévues. À la Federal Emergency Management Agency (Fema), chargée de lutter contre les conséquences des désastres naturels, il avait nommé Michael Brown, un vieil ami qui, à l’usage, s’est révélé totalement incapable : l’ouragan Katrina l’a balayé aussi vite qu’il a balayé La Nouvelle-Orléans. Aujourd’hui, de nombreux Américains se demandent s’ils peuvent encore compter sur l’administration en cas de catastrophe. De même à la Cour suprême, où, pour remplacer la brillante Sandra O’Connor, Bush a tenté de nommer une autre amie de longue date, mais juriste sans envergure (Harriet Miers) : celle-ci a rapidement dû jeter l’éponge.
La toile de fond de ces déboires est évidemment l’Irak. Le quotidien USA-Today situe au mois d’août le retournement de l’opinion qui a acculé Bush à la défensive. L’épisode clé a été le sit-in que Cindy Sheehan, la mère d’un soldat tué en Irak, a organisé à Crawford, Texas, devant le ranch où Bush était en vacances. Jusqu’à quand l’inquiétude des 159 000 mères des soldats exposés aux violences irakiennes restera-elle silencieuse ?
Plusieurs poids lourds de la politique étrangère américaine n’ont pas caché leur hostilité à cette guerre. Dans un discours prononcé le 29 octobre, le colonel Lawrence Wilkerson, ancien chef de cabinet du secrétaire d’État Colin Powell, a dénoncé la « cabale » montée par le vice-président Dick Cheney et le secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld. Plus impitoyables encore ont été les attaques de Brent Scowcroft, l’ancien conseiller à la sécurité nationale de Bush père (dans une interview au New Yorker), et de Zbigniew Brzezinski, qui occupa la même fonction auprès de Jimmy Carter.
L’affaire Lewis « Scooter » Libby, chef de cabinet du vice-président Dick Cheney, inculpé de faux témoignage et d’obstruction à la justice, montre que cette dernière s’est elle aussi mise en branle (voir J.A.I. n° 2339). Publiés par la revue Foreign Affairs, les graphiques des pages précédentes confirment qu’aux États-Unis l’opinion est longue à se mobiliser (ou à se démobiliser). Mais qu’elle ne revient plus en arrière une fois le mouvement engagé.
Toute prudence oubliée, les auteurs – journalistes et écrivains – qui avalaient sans sourciller les plus énormes couleuvres concernant les prétendues armes de destruction massive irakiennes tirent aujourd’hui à boulets rouges sur les proches du président. James Moore, auteur d’un livre intitulé Rove Exposed : How Bush’s Brain Fooled America (« Rove mis à nu : comment le maître à penser de Bush a filouté l’Amérique »), publie dans le Financial Times un article intitulé « L’Amérique aux mains des tueurs à gages » (hired guns). Sa conclusion : « La démocratie se réduit ici comme peau de chagrin. »
Les attaques les plus virulentes sont portées dans l’International Herald Tribune par James Carroll, l’éditorialiste du Boston Globe, contre Dick Cheney. Sa conclusion à lui : « L’Irak [y compris les mensonges d’avant la guerre pour lesquels Libby porte le chapeau] n’est que le dernier en date d’une série de désastres à quoi se résume la carrière publique de Richard Cheney. »
Dans son entourage, dans les milieux politiques de Washington et dans la presse elle-même, on s’interroge désormais sur les chances du président de repartir d’un bon pied. Ce n’est certes pas son récent voyage en Amérique du Sud qui l’y aidera : il bat là-bas tous les records d’impopularité. L’opinion générale aux États-Unis est qu’en tout cas il faudrait un complet renouvellement de l’équipe dirigeante, au sein de laquelle seule la secrétaire d’État Condoleezza Rice trouve encore un certain crédit.
Faisant écho à James Carroll, le New York Times écrit : « Il faudrait commencer par Cheney, le sinistre inspirateur de toute une série de politiques désastreuses, de l’invasion de l’Irak au refus obstiné des économies d’énergie. Bush n’a pas le pouvoir de limoger son vice-président, mais il peut parfaitement limiter ses prérogatives à l’inauguration des chrysanthèmes.
On en vient à se demander si, comme ses prédécesseurs, Bush ne serait pas victime de la malédiction du second mandat : le scandale du Watergate pour Richard Nixon (1973), l’Irangate pour Ronald Reagan (1986), le Monicagate pour Bill Clinton (1998)… Aucun des trois n’a connu de vrai succès de politique intérieure au cours de son second mandat. Mais tous se sont rattrapés en politique étrangère : Nixon en reconnaissant la Chine de Mao, Reagan en négociant un accord sur les armes nucléaires avec Mikhaïl Gorbatchev, Clinton en allant plus loin qu’on ne l’avait jamais été sur la voie d’un accord entre Israéliens et Palestiniens…
Reste à savoir quelle pourrait être la « feuille de route » de George W. Bush. Les trois prochaines années seront-elles, selon la formule du New York Times, « aussi terribles qu’elles menacent de l’être » ?

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires